NOTE : Absolument tout dans cette critique est un spoiler. Si vous n'avez pas lu
La Cité Diaphane, ne lisez pas cette review.
Oui, c'est un bon livre. C'est aussi un beau livre. Je vais donc commencer par l'esthétique de celui-ci.
Il y a dans cette couverture une espèce de minimalisme appréciable très représentatif du contenu : Roche-Étoile est une cité aux formes bien définies, mais dont on ne connaîtra jamais les détails. La déesse domine tout, mais Vanor aussi, alors tous deux figurent au sommet de l'image. Tous deux, si similaires l'un à l'autre comme on l'apprend dans les dernières pages, s'opposent et se tournent le dos : la déesse a eu beau amener Vanor à son côté, elle l'a fait pour se protéger de sa puissance, et Vanor a eu beau chercher à l'approcher, il ne l'a jamais vraiment pu (et quand il l'a pu, la déception et l'horreur l'ont fait s'éloigner).
J'ai eu le sentiment que ce récit se déroulait de nuit. Toutes mes visualisations mentales projetaient un espace sombre, nocturne, à mi-chemin entre le conte merveilleux et le conte fait pour terrifier les enfants au moment de se coucher. le bleu m'a donc semblé approprié. (+Le marque-page est cool. J'en ai eu deux. Juré, ça a fait ma journée quand j'ai vu ça.)
Les illustrations à l'intérieur, tout aussi sombres, font cependant contraste avec le minimalisme de la couverture : détaillées, à l'esthétique réaliste si ce n'est pour les scènes qu'elles présentent, elles montrent un monde plus complexe que ce qu'on croit, un amour du détail qui ferait presque frissonner.
S'il fallait retenir une chose de LCD, c'est cet amour qui transpire du livre. Dans les illustrations, dans les mots,qu'on sent écrits, réécrits, écrits encore, supprimés et écrits de nouveau. La minutie est captivante. (Il y a quand même une faute p.26 lol : "Se trouvait" au lieu de "Se trouvaient". Pardon, c'est ultra chiant quand les gens font ça D:)
Les illustrations et la plume, tous deux à la fois grandiloquents et pragmatiques (un talent dont je suis jalouse), sont le gros point fort de cette création. C'est, selon moi, grâce (à cause ?) de cela que les lecteurs ont négligé les points faibles de l'oeuvre, qui ont eu tendance à troubler la magie. Quels sont-ils ?
En un mot, les personnages.
En un autre mot, l'intrigue.
En balayant quelques critiques précédentes, je me suis rendue compte à quel point les lecteurs aimaient Vanor. Je ne l'aime personnellement pas : personnage quoique intéressant, je le trouve mal présenté.
Déjà : il sort de nulle part alors que l'archiviste s'est déjà imposé dans le récit. Au final, la révélation de ce chapitre (le huitième, je crois) n'a aucun vrai impact. Il apparaît trop tôt pour que cela fasse vraiment effet choc ; il apparaît trop tard pour qu'on comprenne dès le début son importance. le lecteur est déstabilisé.
Ensuite, j'aimais l'archiviste. J'étais prête à suivre ce qu'on m'avait promis (rédiger la fin de Roche-Étoile) et, aussi stéréotypé soit-il, je m'étais attachée au personnage (j'étais la seule, semble-t-il). Mais justement, l'archiviste n'était qu'un archiviste. Il n'était *rien* aux yeux des grands, et j'étais très intriguée à la perspective de lire le récit d'un homme qui n'a aucune importance "supérieure", contrairement à Vanor. C'est pour cette raison que j'ai franchement adoré les huit premiers chapitres, notamment le début de relation qui se nouait entre l'archiviste et la jeune dame : ces deux-là sont mûs par un objectif drastiquement différent et ils en ont conscience, mais ils se sont malgré cela associés ensemble. L'Homme est plus fort ensemble, pas vrai ?
En fait, j'étais prête à ce que l'archiviste et la jeune dame découvrent Roche-Étoile, son passé, ses secrets, ses horreurs. Son prince mendiant, son oracle vengeur, sa déesse terrible. J'étais prête à enquêter avec eux, en somme. Peut-être que ces deux personnages seraient tombés dans le piège tordu du mal d'onde, le même qui a fait tomber Roche-Étoile ; peut-être auraient-ils sauvé la cité ; peut-être auraient-ils contribué à l'enfoncer davantage dans le néant et la mort.
J'ai la réponse à cette déception : le synopsis en dos de page est mensonger.
Mais LCD est une histoire de vengeance et de pardon. Passionnante, mais mal amenée en cela que la promesse initiale n'a pas été tenue. Cela ne m'aurait pas dérangée si la véritable intrigue n'avait pas été mal amenée : Vanor, LE personnage, LE vengeur, arrive en quelques paragraphes à peine, après un combat entre la princesse-monstre et la chevaleresse, et... et c'est tout. Au revoir, archiviste. Ce fut un plaisir. Égorgeons la jeune dame, tuons la princesse et exécutons un story-telling qui explique qui est Vanor, ce qu'il a fait, pourquoi, etc. Moving on. (Ça fait vraiment « technique des 5Q » : QUI-QUE-QUOI-OU-COMMENT).
Je me tenais là, déçue, assise sur un siège de tram qui sentait la vieille sueur, face à un monsieur qui avait l'air triste et à la droite d'une madame qui zyeutait un peu trop souvent mon livre, et la seule pensée qui m'a traversé l'esprit, c'est : "Ah. OK."
D'autres critiques l'ont mieux dit que moi, mais je pense que l'intrigue est parcourue non seulement de moments répétitifs (introspection mal venue), mais aussi d'actions irréelles.
Anouck Faure m'a l'air d'être partisane du stoïcisme et de la non-violence, et cela nuit à sa plume. La non-violence devient de la non-action, de la non-émotion. Oui, la jeune dame se bat. Mais où se situe l'horreur de la bataille, la crainte de la mort, la détermination de se sacrifier pour la cause ? Cela est expliqué dans le livre, bien sûr. Cependant, d'une manière ou d'une autre, je ne l'ai pas senti. Là où l'arrivée de l'archiviste à l'orée de la forêt de Roche-Étoile m'a fait frissonner, chaque combat m'a paru terne. Donne toute ton âme, même plus que ça, jeune dame ! Donne ton sang, ta sueur, tes larmes, ton bras d'arme, ta flamme ! Archiviste, panique un peu : tu n'as jamais vu/participé à un combat de ta vie ! Ou, puisque tu as déjà combattu en tant que Vanor mais que tu ne t'en rappelles vraiment pas, exprime, explore ton trouble, ta peur de toi-même !... Déesse, pourquoi laisses-tu partir ton prince et ton ennemi ? Affronte-les, tue-les, sers-toi d'eux pour asseoir de nouveau ton pouvoir ! Où est cette immoralité qui a si bien brisé Heveydd ?
Platitude extrême et délibérée qui m'a fait pincer les lèvres. Vanor n'est pas humain, certes, mais il a prouvé qu'il est capable d'aimer, qu'il peut "choisir d'aimer", comme il le dit lui-même. Toute sa vengeance prouve sa capacité à ressentir de la colère, de la haine. de fait, il peut ressentir la peur.
Ah, je l'ai fait à l'envers, n'est-ce pas ? Je n'ai pas vraiment expliqué les défauts de l'intrigue.
Pour l'intrigue, je le dirais en peu de mots : Faure aurait pu mieux choisir la période de son récit. Sept ans après la catastrophe, pour un archiviste qui cherche à rapporter cette même catastrophe, c'est logique. Pour Vanor, la cause de la catastrophe, cela semble inopiné. Il n'y a aucune véritable raison pour laquelle Vanor s'est « oubliété » pendant sept ans. Aucune valable du moins. Même blessé, même fuyard, il n'y avait pas lieu de s'effacer – c'était même l'heure de l'action ! Et s'il y en a, des raisons valables, pourquoi ne pas explorer la vie de l'archiviste, ses troubles, sa personnalité ? Vanor mentionne bien à un moment que l'archiviste avait bien résisté à son emprise, ses propres machinations et plans... Pourquoi ne pas partir de la catastrophe en elle-même ? Pourquoi ne pas relater l'éclatement de la haine de Vanor alors qu'il pense que le prince le trahit ? Pourquoi ne pas relater sa quête de connaissances insatiable, son échec ?
La période dans laquelle est située l'intrigue dessert le propos du récit. Je me répète : cette histoire est une histoire de vengeance, d'amour, de haine. D'émotions qui dominent et qui noient l'être entier. Pourquoi Vanor raconte-t-il cela, pour un temps du moins, de manière rétrospective ? Et même quand il le vit en direct, il n'a plus de corps, donc d'organes, d'hormones, pour véritablement le ressentir. C'est comme si c'était fait exprès.
Au final, pour un premier roman, c'est un résultat exceptionnellement réussi. Voilà pourquoi je suis si dure :
Anouck Faure a, d'après moi, les capacités de se hisser aux côtés des plus grands, si ce n'est pour sa plume et son art, au moins pour ce qu'elle cherche à transmettre par leur biais.