Extrait du livre audio "La nuit du faune" de Romain Lucazeau lu par Nicolas Matthys. Parution numérique le 23 février 2022.
https://www.audiolib.fr/livre/la-nuit-du-faune-9791035408732/
Lassés, ils se réfugièrent dans la chevelure d’une comète, entre les débris de glace et les poussières ionisées par le vent de l’étoile centrale, petite et pâle.
Quel mortel n’avait un jour soupçonné, sous la fine couche de poésie et de beauté, sous la luxuriante nature et le foisonnement de la vie, sous les plaisirs des sens, derrière le joli ciel bleu d’une après-midi d’été, non pas la mort, mais bien pire ?
Chaque civilisation croit bâtir pour l’éternité, mais, en fin de compte, il n’en reste plus rien, ou presque : des anomalies dans la composition de certaines roches, comme un ancien parfum flottant dans une pièce longtemps fermée…
« Je demeurai des milliers d'années sans penser à ma véritable nature : un fossile vivant, une survivance.
« Aussi suis-je comme ce jardin, comme ces bosquets où nous nous promenons. Au fond, à l'intérieur, vous ne trouveriez qu'une vieille chose desséchée, un cadavre, incapable d'émerveillement. Car le charme du monde réside dans l'ignorance et la découverte, l'exploration, le désir.
Il voyait la tranquille immobilité des lieux, au même titre que les étoiles au-dessus de lui, comme un contrepoint au mouvement perpétuel de l'extérieur : une indication du caractère éphémère de sa propre race, de sa faiblesse et de sa médiocrité.
"Voilà ce que je veux. Pas pour moi, pour mon peuple. Le savoir, la connaissance. Et avec cela, le pouvoir, car les deux vont de pair.
_Le pouvoir de faire quoi ?
_Eh bien, fit-il avec une mine stupéfaite, comme si la réponse allait de soi: de terrasser mes ennemis, de maîtriser la nature, d'offrir l'abondance aux miens et de faire de ces terres, tout autour, un plaisant jardin.
_La véritable connaissance, répondit-elle, est incompatible avec un tel projet. Celui qui sait ne fait surtout rien. La vérité du monde demeure cachée à la plupart, car elle est insupportable à la vie."
"Venez avec moi, recherchons ensemble le péril et la mort, auxquels nous échapperons une dernière fois, peut-être, ou pas. Mais, à tout le moins, nous aurons vécu avec plus de fougue, d'intensité, qu'en tant de longues années de ronronnement domestique. Je ne désire rien d'autre, aller plus loin, beaucoup plus loin, qu'en tous les voyages entrepris par les miens."
L’histoire de la connaissance suivait néanmoins, cahin-caha, la route du dépouillement. Il fallait abandonner la couleur et l’odeur, la texture et le bruit, en faire des qualités secondes d’une substance, les décrire en termes de longueur d’onde, processus chimique, ou structure de surface...
_ Dans le langage d'Astrée, je suis Polémas, répondit le faune.
_ Et moi, vous pouvez m'appeler A-L-X.345.14.37.29.10.pirho-thêta...
_ Et si, l'arrêta Astrée d'un air effronté, nous nous contentions d'Alexis, pour faire court ? »
_ Prenez cent de cette quantité deux fois. Il m'a fallu tout ce temps-là.
_ Fallu pour... ? demanda Polémas, l'air ahuri, avec son expression un peu effrayée et ses grands yeux perdus.
_ Pour rien. Pour attendre, pour regarder la Terre changer.
_ Je ne suis, souffla-t-il, rien à côté. »
L'infini déploiement des grandeurs numériques. À l'instant, il venait d'en prendre conscience, sans en avoir une compréhension adéquate.