Puis le paysage s'ensauvagea, les reliefs d'une humanité aveugle s'estompèrent, et ce furent les gorges multipliées jusqu'au grand lac, dont la majesté silencieuse et intacte saisissait au premier regard. Des espèces rares d'oiseaux y déployaient une paix de préhistoire.
Pour la première fois depuis qu'elle avait choisi d'occuper une place d'homme, elle se rendait compte qu'elle possédait une image. Et pour la première fois, elle voulait s'en saisir.
Elle avait le souci constant de savoir quel œil Adrian portait sur les choses.
Il y avait bien eu des tentatives, pour certains, de partir s'installer dans la vallée, mais elles s'étaient soldées par des retours plus ou moins honteux. La communauté restait figée dans sa composition et sa structure depuis plusieurs siècles, les fils remplaçant les pères, les filles les mères, en un éternel recommencement de visages et de fonctions. Même les anomalies comme celle que Manushe pouvait représenter étaient coulées dans le moule de la normalité généalogique et de la perpétuation d'un ordre.
Elle aurait voulu lui dire de rester, elle aurait voulu le suivre, chez sa mère ou au-delà des océans, mais son chemin était ailleurs. Leur rencontre n'était qu'une marche sur laquelle se tenir plus droite.
Puis le paysage s’ensauvagea, les reliefs d’une humanité aveugle s’estompèrent, et ce furent des gorges multipliées jusqu’au grand lac, dont la majesté silencieuse et intact saisissait au premier regard
Un éclair roux passa devant ses yeux. L'air était trouble, dilué dans les ombres vertes et mobiles. Puis entre les lignes d'écorce gelées, le flouté de l'atmosphère se dissipa, des contours se précisèrent et l'image apparut : le lynx regardait Adrian.
Ils firent une habitude de cette songerie à deux. Ils n'étaient plus, pendant quelques heures chaque matin, les habitants d'un village de la montagne associant leurs forces dans les actes nécessaires du quotidien, mais deux corps réunis par un plaisir clandestin.