Deux ans et demi se seront écoulés entre la parution de "Un shim sham avec
Fred Astaire" et le dernier volume de "Broadway Limited", "Un thé avec Grace Kelly", deux ans et demi qui ont passé à toute vitesse, riches de tant de livres et d'histoires… mais sur l'échelle de Broadway, ce furent neuf-cent-quinze (à peu près!) jours interminables.
Il faut dire que le tome 2 de la saga se terminait de la pire des manières pour le lecteur énamouré, attrapé, captif des intrigues, des drames et des amours de la Pension Giboulée! En de telles circonstances, deux ans et demi, c'est l'éternité.
Cette sortie tardive m'aura toutefois offert le plaisir de la relecture des deux premiers tomes et la joie, plus grande encore, de ne pas quitter New-York entre le shim sham et le thé! J'étais si heureuse de renouer avec la Pension, avec Jocelyn et tous les autres! J'avais hâte, surtout, de savoir comment tout cela allait se terminer, comment les différentes intrigues engagées allaient se résoudre, se croiser, se conclure!
Manhattan allait-elle révéler au grand Uli Styner ce qui la hante depuis "Un dîner avec Cary Grant"? Hadley allait-elle retrouver celui qu'elle cherche avant qu'il ne succombe à d'autres bras? Comment Chic pouvait-elle se sortir de cet amour bien trop lourd pour elle? Quel rôle pour Page? Et pour Etchika, l'oubliée du deuxième tome? Quel avenir pour Ursula et son amour réprouvé par la morale américaine, violente, inique et étriquée?
C'est donc avec une délectation non feinte que j'ai ouvert pour la première fois "Un thé avec Grace Kelly" et je l'ai dévoré, bande originale de "Singin'in the rain" puis best-of de Sinatra en fond sonore et tablette de chocolat praliné à proximité de la théière.
Que dire alors, que dire de ce tome tant attendu?
Peut-être qu'il faut commencer par ce qui fâche… Qu'on soit clair, j'ai adoré cette lecture, mais je l'ai trouvé un peu en dessous des deux premiers tomes… Alors peut-être que c'est de ma faute… Peut-être ai-je mis trop d'attentes dans ce roman attendu avec tant de ferveur depuis tant de temps, peut-être aussi que j'ai trop aimé "Un dîner avec Cary Grant" et "Un shim sham avec
Fred Astaire"? Ils sont si réussis ces romans (et pour moi, le second surpassant le premier, le troisième ne pouvait être que meilleur encore) que je leur voulais une fin en apothéose, en feu d'artifice… Et ce n'est pas du tout le délire pyrotechnique que j'espérais. C'est peut-être moi, ou c'est peut-être la "Malédiction du dernier tome": souvent, quand on attend le grand final après avoir accompagné longuement des personnages, après y avoir projeté des attentes, le dernier acte se révèle souvent...déconcertant. C'est en tout cas une sensation qui, sans m'être familière, m'est connue (Oui tome 4 de "La Passe-Miroir", c'est à toi que je pense!). Peu importe au fond... Toujours est-il que ce thé avec la princesse de Monaco, bien que très bon, ne m'a pas paru aussi bon que ses prédécesseurs et c'est tout le problème. Fichue comparaison! Pourquoi? Et bien tout simplement parce que je l'ai trouvé assez inégal: il est assez long, plus long en tout cas que les tomes précédents et j'ai trouvé que les intrigues se délayaient un peu trop dans les deux premiers tiers du roman mais qu'arrivées dans le dernier, elles se résolvaient beaucoup trop facilement, beaucoup trop précipitamment comme si l'auteur voulait s'en débarrasser. de plus, elles ne se concentrent que sur quelques personnages et les autres sont un peu laissés de côté... Charity méritait plus de place, Ursula et Silas également, et je ne parle pas de Jocelyn qui est au coeur d'un vrai dilemme que la narration se contente de survoler, à ma grande frustration! Autre frustration, plus subjective cependant: l'ellipse à la page 637. Cette scène, je l'attendais depuis… depuis toujours… et… le blanc, le silence, l'ellipse. Hérétique ellipse, cruelle ellipse!
Au-delà de mon insatisfaction personnelle, l'escamotage de ce passage tant espéré me donne un peu l'impression du choix de la facilité… Parce que oui, cette scène était attendue et donc d'autant plus difficile à écrire... mais justement: quel panache il y aurait eu à tenter de la raconter plutôt que ce silence un peu pusillanime!
Malgré tout, "Un thé avec Grace Kelly" recèle aussi de vraies qualités et conclut avec brio la trilogie de "Broadway Limited": inventif (j'ai pour ma part adoré les chapitres centrés sur Ginger, un peu mystérieux de prime abord mais qui revêtent au fil du récit toute leur signification: Giboulée ne finira jamais!) il a su conserver la profondeur et la gravité déployée dans "Un shim sham avec Frec Astaire" en mêlant aux récits des trajectoires personnelles des personnages le portrait d'une Amérique schizophrène sans faire l'impasse sur le rythme, la musique et la légèreté qui parcourt toute la trilogie à travers des personnages résolument pétillants, très attachants et capable d'émouvoir les lecteurs, petits ou grands, à condition que ces derniers aient gardé en eux un peu de leur âme d'adolescents; à travers aussi une écriture fluide et très cinématographique et des guest star sortis tout droit de l'âge d'or d'Hollywood...
Il est pour les amoureux de cinéma et de théâtre le Broadway Limited, pour les danseurs qui virevoltent comme d'autres respirent et pour les amoureux tout court.
Un quickstep avec
Malika Ferdjoukh pour un printemps enfin pétillant.