- C'est l'instrument le plus merveilleux que je connaisse. Un seul souffle suffit à le faire vibrer. Mais la musique qui en sort est si étrange qu'elle peut changer la vie de celui qui en joue. C'est comme le bonheur. Quand on l'a connu une fois, il vous marque au fer rouge. Jouer du violon noir, c'est la même chose.
- Vous en avez joué ?
- Une seule fois. Il y a très longtemps. Depuis, je n'y ai plus jamais touché. C'est comme l'amour. Quand on l'a vécu une fois – je veux parler de l'amour vrai, du grand amour -, il faut tout faire pour l'oublier. Il n'est rien de pire que d'avoir été heureux une fois dans sa vie. Après, tout le reste, même une chose insignifiante, devient un grand malheur.
Erasmus se vantait de posséder trois choses exceptionnelles : un violon noir, au son étrange, un échiquier, qu’il qualifiait de magique, et une eau-de-vie hors d’âge. Le vieil homme était en outre doté de trois dons exceptionnels : il était sans contexte le meilleur luthier de Venise, il ne perdait jamais aux échecs, et c’était lui qui distillait la plus singulière eau-de-vie d’Italie. Pour ce faire, il avait installé un alambic dans une arrière-salle de son atelier. Le matin, il restaurait ou fabriquait des violons, l’après-midi il distillait, et le soir il jouait aux échecs, tout à l’ivresse que lui procuraient ses trois passions.
Jamais on ne l’avait surpris à jeun. Erasmus était toujours pris, que ce fût de musique, de boisson ou de jeu.
Lorsqu’il était ivre, il parlait et parlait sans cesse. Lorsqu’il ne parlait pas de violons, il parlait d’eau-de-vie. Lorsqu’il ne parlait pas d’eau-de-vie, il parlait d’échecs. Lorsqu’il ne parlait pas d’échecs, il parlait de musique. Et lorsqu’il ne parlait pas de musique, il ne disait rien.
- Venise, dit Karelsky en s'adressant au médecin-chef, n'est pas une ville, c'est un songe posé sur le bord de mer.
Je ne connais qu'un instrument qui peut s’apparenter à la voix humaine : le violon. Depuis l'instant où j'ai senti la vibration qu'offre la rencontre d'un archet et des quatre cordes du violon, jamais ma passion pour cet instrument ne s'est démentie. Le violon est une voix.
- Moi je sais pourtant comment rendre ta vie intéressante.
- Ah oui ? De quelle manière ?
- En allant chercher la part de rêve qui te revient de droit.
- Et où est-elle, cette part ?
- Un peu partout dans le monde. Mais surtout en toi !
Un matin d'été, au jardin des Tuileries, un violoniste tsigane l'initia au langage du bonheur.
La vraie musique est entre les notes.
Ce qu'il y a de beau, dans les rêves, c'est qu'ils n'ont pas de limites, qu'ils donnent toutes sortes de pouvoirs.
Lorsque l'armée française pénétra dans Venise, le 16 mai 1797, ce fut comme si elle avait été frappée de silence. Le pillage, le bruit et la fureur des hommes furent cristallisés par la beauté et l'immobilité de la ville. Ce qui étonna d'emblée Johannes, c'est cette tranquillité qui émanait de chacune des ruelles, cette paix qu'il n'avait plus goûtée depuis de longs mois.
Puis il se leva, prit deux verres, les emplit d’une liqueur couleur de miel et en présenta un au violoniste.
- Goûtez ça, Johannes ! La première gorgée, c’est du feu ! Le deuxième du velours ! La troisième du rêve.