Le trait d’union entre l’Européen et l’indigène : les bureaux arabes administrent les indigènes en conservant les structures créées par Abd El Kader et la plupart des chefs traditionnels. Ce sont probablement les officiers des bureaux arabes qui connaissent et qui comprennent le mieux la réalité indigène. Les Arabes peuvent être vaillants et fidèles comme ils nous l’ont prouvé pendant les campagnes de Crimée, d’Italie, du Mexique, et récemment contre les Prussiens. Mais lorsqu’on blesse leur orgueil et leur fierté, ils finissent un jour ou l’autre par se retourner contre nous pour nous jeter à la mer. Lorsqu’on sème l’injustice, on récolte la haine.
On attribue à Mahomet le prophète l’aphorisme suivant : si la montagne ne veut pas venir à nous, allons à elle. C’est ce qu’il faut faire en matière de civilisation. En Algérie, il y a trois millions d’Arabes qui sont sous notre domination. Nous devons nous en occuper et respecter leurs coutumes, et leur religion. Il faut être patient et modeste. Au lieu d’apporter la civilisation, on a cantonné les indigènes en leur prenant leurs terres. Je ne crois pas à la colonisation terrienne. Ce que veulent les colons et les aventuriers de tout poil, c’est repousser toute la population indigène au désert comme l’ont fait les pionniers américains avec les Indiens. Les Européens doivent se contenter des villes pour l’industrie et le commerce. Il faut laisser la terre aux indigènes pour la culture et l’élevage. Mais on les a déjà largement dépossédés.
La paix ?! ...Leurs villages sont détruits et leur pays est occupé. Ils attendront leur revanche...Croyez-moi, je sais de quoi je parle !...
À nous aussi, qu'on envoyait en masse en Algérie, on en racontait, des histoires : qu'il s'agissait d'une terre française, « de Dunkerque à Tamanrasset », que nous menions le bon combat et que nous défendions, avec nos mitrail-lettes, non seulement les Français d'Algérie, mais aussi notre idée de la démocratie, du progrès, de la liberté. Parfaitement : c'était au nom des droits de l'homme qu'on nous envoyait soumettre un peuple.
Jean Claude Carrière
- On a fusillé leurs chefs, on a rasé leurs villages, et on leur à prix leurs terres... Croyez-vous qu'à ce compte-là, on puisse avoir une paix durable ?... (pl. 78)