AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Apprendre à vivre, tome 2 : La sagesse des mythes (29)

« Commençons par l'essentiel : quel est le sens profond des mythes grecs et pourquoi faudrait-il aujourd'hui encore, aujourd'hui plus que jamais peut-être, s'y intéresser ? La réponse se trouve à mes yeux dans un passage d'une des œuvres les plus connues et les plus anciennes de la langue grecque, l'Odyssée d'Homère. On y mesure d'emblée à quel point la mythologie n'est pas ce qu'on croit si souvent de nos jours, une collection de «contes et légendes», une série d'historiettes plus ou moins fantasmagoriques dont le but serait seulement de distraire. Loin de se réduire à un divertissement littéraire, elle constitue en vérité le cœur de la sagesse antique, l'origine première de ce que la grande tradition de la philosophie grecque va bientôt développer sous une forme conceptuelle en vue de définir les contours d'une vie réussie pour les mortels que nous sommes.
Laissons-nous un instant porter par le fil de cette histoire que j'évoque ici à grands traits, mais sur laquelle, bien sûr, nous aurons plus tard l'occasion de revenir.
Après dix longues années passées hors de chez lui à combattre les Troyens, Ulysse, le héros grec par excellence, vient de remporter la victoire par la ruse - en l'occurrence grâce au fameux cheval de bois qu'il a abandonné sur la plage, près des remparts de la ville. Ce sont les Troyens eux-mêmes qui l'introduisent dans leur cité, autrement imprenable par les Grecs. Ils s'imaginent qu'il s'agit d'une offrande aux dieux alors que c'est une machine de guerre dont les flancs sont remplis de soldats. La nuit venue, les guerriers grecs sortent du ventre de l'imposante statue et massacrent, jusqu'au dernier ou presque, les Troyens endormis. C'est un atroce carnage, un pillage sans merci, si effroyable qu'il suscite même la colère des dieux. Mais au moins, la guerre est terminée et Ulysse cherche à rentrer chez lui, à retrouver Ithaque, son île, sa femme, Pénélope, et son fils, Télémaque, bref, à rejoindre sa place dans sa famille comme au sein de son
Commenter  J’apprécie          60
C'est ici l'histoire de ces hommes, à proprement parler extraordinaire, glorieux pourfendeurs de toutes les réincarnations monstrueuses des forces du désordre, qu'il nous faudra raconter (chapitre V). Ainsi, Thésée, Jason, Persée et Héraclès vont-ils continuer, à l'image de Zeus luttant contre les Titans, de pourchasser et terrasser la race des entités maléfiques et monstrueuses qui symbolisent la renaissance toujours possible des premières forces du chaos ou, ce qui revient au même, la fragilité de l'ordre cosmique.
Commenter  J’apprécie          30
Il faut préférer une condition de mortel conforme à l'ordre cosmique, plutôt qu'une vie d'immortel livrée à ce que les Grecs appellent l'Hybris, la démesure, qui nous éloigne de la réconciliation avec le monde. Il faut vivre avec lucidité, accepter la mort, vivre en accord avec ce que l'on est en réalité avec les siens comme avec l'univers. Cela vaut beaucoup mieux que d'être immortel en un lieu vide, dénué de sens, fût-il paradisiaque, avec un femme que l'on n'aime pas, fût-elle sublime, loin des siens et de son "chez soi", dans un isolement que symbolisent non seulement l'île, mais la tentation de la divinisation et de l'éternité qui nous écartent de ce que nous sommes comme de ce qui nous entoure...
Commenter  J’apprécie          20
C'est dans cette perspective que je voudrais relire et raconter ici la mythologie. J'y vois d'abord, on l'aura compris, une préhistoire de la philosophie dont l'étude est indispensable à la compréhension, non seulement de sa naissance, mais aussi de sa nature la plus profonde. Mais, par-delà cet aspect théorique, intellectuel, la mythologie, dans cet effort pour penser la condition des mortels en tant que tels, délivre des leçons de sagesse qui, au même titre que celles de la philosophie grecque, nous parlent encore à travers les représentations du monde et de nous-mêmes dont elles sont porteuses. [p.37 - 38]
Commenter  J’apprécie          10
Quel rapport avec le désir d'éternité qu'allume en nous la contradiction entre la certitude de la mort et le plaisir de la vie ? Il est très direct, en vérité, car nous savons bien qu'à travers nos enfants quelque chose de nous continue de survivre par-delà notre disparition. Au physique comme au moral : les traits du corps et du visage comme ceux du caractère se retrouvent toujours plus ou moins chez ceux que nous avons élevés et aimés. L'éducation est toujours transmission et toute transmission est en quelque façon un prolongement de soi qui nous dépasse et ne meurt pas avec nous. [p.29]
Commenter  J’apprécie          10
Dans le premier tome d'Apprendre à vivre, j'ai proposé une définition de la philosophie qui rende enfin compte de ce que cette dernière fut et doit à mon sens rester aujourd'hui : une doctrine du salut sans dieu, une réponse à la question de la vie bonne qui ne passe ni par un «être suprême» ni par la foi, mais par ses propres efforts de pensée et par sa raison. Une exigence de lucidité, en somme, comme condition ultime de la sérénité entendue au sens le plus simple et le plus fort : comme une victoire - sans doute toujours relative et fragile - sur les peurs, en particulier celle de la mort, qui sous des formes diverses autant qu'insidieuses nous empechent de bien vivre. [p.25]
Commenter  J’apprécie          10
La mythologie n'est pas l'enfance de l'humanité : elle n'a rien à envier, en termes de profondeur et d'intelligence, à la science moderne dont elle n'est pas, ni de près ni de loin, l'anticipation encore approximative. (...) le projet de la mythologie est tout autre que le projet scientifique moderne . Il n'est nullement son pressentiment approximatif ! il ne vise pas l'objectivité, pas même la connaissance du réel en tant que tel. Son affaire véritable est ailleurs. Par un récit qui se perd lui-même dans la nuit des temps, et qui n'a, à vrai dire, rien d'explicatif au sens où l'entendent les scientifiques d'aujourd'hui, elle cherche à offrir aux mortels que nous sommes les moyens de donner un sens au monde qui les entoure. En d'autres termes, l'univers n'est pas considéré ici comme un objet à connaître, mais comme une réalité à vivre, pour ainsi dire comme le terrain de jeu d'une existence humaine qui doit y trouver sa place. C'est dire que le but de ces récits primordiaux n'est pas tant de parvenir à la vérité factuelle que de donner des significations possibles à l'existence humaine en s'interrogeant sur ce que peut être une vie réussie dans un univers ordonné, harmonieux et juste comme celui au sein duquel nous sommes amenés à trouver notre voie. (...)
Qu'est-ce qu'une existence réussie pour ces êtres éphémères, dès lors qu'à la différence des arbres, des huitres ou des lapins, ils possèdent une conscience aigue de ce que les philosophes nommeront plus tard leur "finitude" ?
Voilà la seule question qui vaille, la seule qui guide, en réalité les récits des origines. Voilà aussi pourquoi ils s'intéressent d'abord et avant tout à la construction du "cosmos", à la victoire des forces de l'ordre contre celle du désordre, car c'est dans ce cosmos, au sein de cet ordre, qu'il va nous falloir trouver, chacun à notre façon, notre place pour parvenir à la vie bonne.
Commenter  J’apprécie          10
La dimension culturelle des mythes va presque de soi si 'lon considère un instant l'usage que nous faisons dans le langage quotidien d'une myriade d'images, de métaphores et d'expressions que nous empruntns directement sans même en connaître le sens et l'origine. Certaines formes devenues lieux communs portent la mémoire d'un épisode fabuleux, particulièrement marquant dans les aventures d'un dieu ou d'un héros : partire en quête de la "Toison d'or", "prendre le taureau par les cornes", "tomber de Charybde en Scylla", introduire chez l'ennemi un "cheval de Troie", (...).
Ce livre propose de réveiller ces "métaphores endormies" de la mythologie grecque, en racontant les histoires merveilleuses qui en constituent l'origine. Ne serait-ce qu'au nom de la culture, pour être en mesure de comprendre la cohorte innombrable des oeuvres d'art ou d'écriture qui, dans nos musées ou nos bibliothèques, tirent leur inspiration de ces racines anciennes et restent ainsi parfaitement "hermétiques" (encore un souvenir du dieu Hermès !) pour qui ignore la mythologie, cela en vaut la peine (...) car ce formidable succès linguistique de la mythologie n'est évidemment dénué ni de sens ni d'importance.
Commenter  J’apprécie          10
Comme tu vois, l'expédition qu'il met en place pas d'autre finalité que la connaissance - où l'on perçoit une autre facette de la sagesse grecque : un imbécile ne saurait parvenir à la vie bonne et, si le but final est bien de trouver sa place dans l'ordre cosmique, sa réalisation ne va pas sans un parcours qui offre à l'être humain I'occasion d'élargir et d'étoffer sa vision du monde et sa compréhension des êtres qui le peuplent. Cette saine curiosité n'est cependant pas sans danger, comme la rencontre d'Ulysse avec le Cyclope Polyphème va malheureusement le démontrer. [p.196]
Commenter  J’apprécie          00
Pour les Grecs, ce qui caractérise la mort, c'est la perte d'identité. Les disparus sont d'abord et avant tout des « sans-nom », voire des «sans-visage». Tous ceux qui quittent la vie deviennent des « anonymes », ils perdent leur individualité, ils cessent d'être des personnes. Lorsque Ulysse, au cours de son voyage (je te dirai plus loin dans quelles circonstances), est obligé de descendre aux enfers où séjournent ceux qui n'ont plus de vie, il est saisi par une sourde et terrible angoisse. Il contemple avec horreur tout ce peuple qui séjourne dans l'Hadès. Ce qui l'inquiète par-dessus tout, c'est la masse indistincte de ces ombres que plus rien ne permet d'identifier. Ce qui le terrifie, c'est le bruit qu'elles font : un bruit confus, un brouhaha, une espèce de rumeur sourde au sein de laquelle il n'est plus possible de reconnaitre une voix, encore moins un mot qui aurait un sens. C'est cette dépersonnalisation qui caractérise la mort aux yeux des Grecs, et la vie bonne doit être, autant qu'il est possible et le plus longtemps que l'on pourra, le contraire absolu de cette grisaille infernale. [p.184]
Commenter  J’apprécie          00






    Lecteurs (225) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Thésée et le minotaure

    Qui est le père de Thésée?

    Héraclès
    Zeus
    Hadès
    Poséidon

    8 questions
    14 lecteurs ont répondu
    Thème : Thésée et le Minotaure de Luc FerryCréer un quiz sur ce livre

    {* *}