Au centre d’une étoile, formée par le croisement de plusieurs routes, s’élevait autrefois une croix de bois, dont les bras et la tête, terminés en fleur de lis, avaient éveillé la susceptibilité des Bleus. La croix, depuis bien longtemps, gisait à terre, sous la bruyère touffue ; on l’avait remplacée par un poteau routier, surmonté d’un bonnet phrygien.
– [...] Un jour donc, le saint prêtre me dit ces paroles, qui se sont gravées dans ma mémoire : "En ce temps de luttes impies, ma fille, le rôle d’une femme doit être le rôle de paix, de conciliation et de pitié." Ne vous a-t-il jamais rien dit de semblable, Marie !
– Si fait... je crois me souvenir. Mais je trouve injustes et cruelles ces prescriptions qui font de la femme un être passif, un être nul.
– Nul pour le mal, et tout-puissant pour le bien ! pensez-vous que ce soit un mauvais partage que le nôtre ?
Elle avait nom Sainte, et entrait dans sa quatorzième année ; mais ceux qui ne la connaissaient point, en voyant son enfantin sourire et la candeur angélique de son front, lui auraient donné deux ans de moins. Parfois, pourtant, quand elle était loin de la foule, et qu’elle donnait son âme à cette rêverie que souffle la solitude, on aurait pu voir son grand œil bleu s’animer sous les cils à demi-baissés de sa paupière. Sa charmante tête, alors, devenait sérieuse, ses lèvres se rejoignaient et cachaient l’éblouissant émail de ses dents ; la ligne de ses sourcils, si noire et si pure qu’on l’aurait pu croire tracée par le pinceau d’un peintre habile, s’affermissait et tendait la courbe hardie de son arc ; tout son visage, en un mot, dépouillant l’indécise gentillesse des premières années, revêtait la beauté d’un autre âge.
cet homme n’a plus ni espoir, ni crainte, ni tendresse, ni haine ; son coeur s’est fait pierre, il est mort déjà.
Elle cacha sa tête dans le sein de son amie.
– Oh ! reprit-elle après un moment de silence, ce n’est pas la mort que je crains. Mon bras est faible, mais mon cœur est fort. Ce qui me ronge, c’est le doute : parfois, je crois surprendre un sourire de pitié sur les lèvres de mes hommes ; parfois, ils me répondent avec cet air de condescendance que prennent les bons serviteurs envers l’enfant gâté d’un maître qu’ils aiment. Admirent-ils ma précoce énergie ? Raillent-ils mes inutiles exploits ? Suis-je grande ou suis-je ridicule ?
la misère ne marchande pas