Citations sur Le soldeur (39)
Depuis des années, sa bibliothèque s'était peu à peu imposée comme l'interlocutrice privilégiée de son existence. Elle était à la fois sa compagne, sa confidente, sa meilleure amie. Sa mémoire, puisque chaque période de sa vie était déposée là, sur quelque étagère. Son présent, la chose allait de soi. Et son avenir: chaque livre en appelait un autre, toute lecture exigeait une suivante et, plus il lisait, plus l'infini de ce qu'il n'avait pas lu, qui eût pu l'accabler, l'invitait au contraire à intensifier sa quête.
Elle avait fini par avantageusement remplacer son rapport aux autres. (p.15)
Adulte , combien de fois interrompait-il sciemment la lecture d'un roman pour ne pas avoir à le finir trop tôt ? Comme ces moments d'amitié rare que l'on s'emploie à prolonger à seule fin de différer l'inéluctable de la séparation... (p. 123)
L'inutile accélération du temps effréné de la consommation avait une conséquence sur les mots eux-mêmes: on parlait de plus en plus par sigles et par abréviations, comme si la patience de nommer les choses était en elle-même une perte de temps. Là encore, le livre résistait. (p.22)
Habiter un lieu, ce n'est pas se poser quelque part. C'est décider de vivre avec lui, en lui. D'en faire une part de soi. (p. 183)
Il y avait du Diderot dans cet homme-là (Gaston Bachelard) et dans sa volonté de ne pas laisser la rationalité scientifique écraser l'imaginaire. Comme Denis, capable de rédiger les articles de l'Encyclopédie, mais aussi d'en dessiner les planches, et encore d'en rédiger les légendes- faisant ainsi de l'ouvrage phare des Lumières une étonnante anticipation d'Internet dans sa volonté d'offrir à tous la quintessence du savoir, et dans son souci de permettre à chacun de se frayer un chemin comme il voudrait ou comme il pourrait, soit par les textes, soit par les images, soit par leur dialogue...(p. 102)
C'est peut-être ça, une bibliothèque. mais tout aussi l'inverse. Une manière de poursuivre le dialogue avec les morts, de les faire revivre, de mettre ses pas dans les leurs. De sauvegarder le lien. Ces livres délaissés, comme mis à l'index dans cette petite pièce désolée, n'attendaient qu'une chose. Qu'on les ouvre à nouveau. Qu'on les parcoure . La lecture, chaque fois, comme une résurrection. Comme un défi aux morsures du temps qui passe. (p. 276)
-....Un livre, c'est toujours l'histoire d'une rencontre. Imaginez ce que deviendrait mon travail s'il nous fallait donner un prix à la charge affective ou émotionnelle que recèle chaque livre apporté par un client ? (p. 37)
Il voulait maintenant comprendre ce que signifiait une bibliothèque. Ce que voulait dire cette succession d'actes, acheter, lire, garder, classer, accumuler, se laisser envahir par les livres. Il voulait maintenant savoir ce qu'on pouvait apprendre de quelqu'un en lisant sa bibliothèque : sa vie ? Son fantasme de vie ? Les regrets d'une vie ? (p. 249)
Une merveilleuse idée lui avait été un jour soufflée par sa soeur: la plus belle manière de ranger ses livres serait celle qui garderait trace de la chronologie de leur lecture. "Par ordre d'apparition"...
Ce classement était, sans conteste, le plus poétique: chaque livre était rendu à sa singularité, non pas tant de son écriture que de sa rencontre avec un lecteur. (p. 67)
Notre relation, si elle s'avère, sera totale et singulière: nous y partagerons tout, de nos goûts et de nos rêves, de nos attentes et de nos fantasmes. C'est par le livre que nous nous livrerons l'un à l'autre...(p. 116)