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Entreprise bretonne de fabrication d'échelles et d'échafaudages en aluminium fondée dans les années cinquante dans la zone industrielle de Bois II, Stecma est menacée de fermeture en cette journée du récit, le 17 juillet 2007.
Mais cette aventure trouve ses origines dans la formation des sous-sols et des minerais, qui seront exploités par l'homme des centaines de millions d'années plus tard. C'est l'entrée en matière un peu déconcertante du deuxième roman d'Elisabeth Filhol (Editions P.O.L., Septembre 2014), qui évoque ainsi la destruction brutale à l'oeuvre depuis quelques décennies d'un monde et de ressources millénaires.

À Bois II, les entreprises sont progressivement fermées, délocalisées par des prédateurs bouchers qui dégraissent et désossent avant de liquider et une des seules perspectives de reconversion reste pour quelques salariés «chanceux» un emploi dans l'abattoir local.
En ce jour de juillet 2007 les employés de Stecma en grève attendent le dirigeant de l'usine menacée de fermeture, ayant décidé de le séquestrer pour tenter de peser collectivement sur leur sort. Dans ce récit fictif s'appuyant sur une documentation précise sur Pechiney et l'industrie de l'aluminium, la narratrice, déléguée syndicale suppléante nous transmet le poids sur les épaules des représentants du personnel, l'organisation pratique de l'occupation, les échanges et inquiétudes, l'attente de l'arrivée de Mangin, sa séquestration, la proximité inhabituelle avec ce patron distant, la négociation et les fissures inévitables du groupe.

« On est un collectif. Sous la menace. Unis par la menace et faisant front commun, devant une telle énormité, notre usine rayée de la carte du jour en lendemain.»

En filigrane se reconstitue l'histoire de cette société créée et développée par un entrepreneur autodidacte et patriarcal, passée dans les mains de Pechiney, puis d'Alcan, prétendument sauvée de la liquidation par un repreneur providentiel ayant fait miroiter une reconversion salvatrice dans le photovoltaïque, en réalité un dirigeant essentiellement absent, pour qui Stecma n'est sans doute surtout qu'une affaire de spéculation immobilière.

«On a mis du temps à comprendre. On a réalisé trop tard à qui on avait affaire. On se serait au moins épargné l'espoir.»

Le récit de cette fiction extrêmement réaliste, tout d'abord simple et froid, se déploie crescendo pour atteindre la tension d'un thriller et faire ressentir la violence guerrière à laquelle peut conduire le capitalisme mondialisé, où les dirigeants et actionnaires voient surtout les hommes comme une charge à réduire, abandonnant la logique industrielle pour ne faire primer que la spéculation.
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Dans l'une de ses chroniques hebdomadaires du Monde des Livres consacrée au dernier livre de Patrick Modiano, "Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier", publié chez Gallimard, et avant qu'on ne décerne à ce dernier le prix Nobel de littérature, Éric Chevillard évoquait les écrivains dont l'unité de mesure est la phrase, ceux dont les oeuvres sont des trésors de citations, qu'elles soient poétiques, dramatiques ou humoristiques. Et ceux qui, au contraire, comme Modiano, construisent leurs récits comme des puzzles, des assemblages de phrases, de paragraphes et de chapitres. Cette chronique fit immédiatement écho au dernier roman d'Elisabeth Filhol, "Bois II". Car dans ce récit tragique d'un abandon, du passage impitoyable d'un monde industriel bien identifiable et rassurant à un autre totalement déstructuré et donc incontrôlable, tout est savamment assemblé. La phrase n'est pas une entité autonome, mais s'insère dans un ensemble. Elle est directement liée à ce qui précède ou à ce qui va suivre. Cela peut parfois dérouter, lorsque le sens n'apparaît qu'au bout de la troisième ou quatrième phrase, mais cette structure est la plupart du temps source de plaisirs car elle demande au lecteur une constante posture d'éveil et d'action. Enfin, le choix d'Elisabeth Filhol de raconter cette histoire de séquestration d'un patron par ses employés du point de vue d'une déléguée syndicale permet de montrer que la question des mutations de notre société du travail n'admet pas de réponses simples et évidentes. L'auteure réussit à rendre sensible la perte d'illusions des employés face à cette indéfinissable entité mondialisée qui dicte sa loi d'on ne sait où ? Une entité tellement insaisissable qu'elle broie aussi les propres membres de son système. Un récit glaçant, mais pourtant contrebalancé par la profonde incarnation des personnages, comme si Elisabeth Filhol avait voulu rendre justice aux victimes du système, en montrant que derrière les chiffres et les bilans comptables des gestionnaires du grand capital, il y a des femmes et des hommes, des familles et des communautés, des histoires et des traditions. Et cette séquestration, si elle ne résout presque rien, a au moins le mérite d'affirmer l'existence de ceux qu'on cherche trop souvent à oublier.
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Nous en juillet, il fait une chaleur méditerranéenne et pourtant nous sommes en Bretagne. Sur le site de la Stecma, une ancienne usine d'échafaudages en aluminium transformée en plateforme de stockage pour panneaux solaires suite au rachat par un consortium canadien, des ouvriers attendent la venue de leur patron dont l'unique but est de liquider l'entreprise dans le mois. Après une assemblée générale menée par les représentants du personnel, ils ont projeté de séquestrer Mr Mangin, leur seul interlocuteur depuis deux ans, afin d'obtenir la sauvegarde de leur outil de travail. "Bois II" est le récit détaillé de cette journée intense de lutte, où malgré le déséquilibre des forces en présence, celui qui gagnera n'aura aucunement besoin de supériorité numérique.
Joseph E Stiglitz, prix Nobel d'économie, a écrit que le capitalisme est un système pervers qui ne tient pas ses promesses mais qui en plus apporte "l'inégalité, la pollution, le chômage et, c'est le plus important, la dégradation des valeurs (morales) jusqu'au niveau où tout est acceptable et où personne n'est responsable."
Ce roman en est l'illustration parfaite. Il pénètre dans le coeur du système, l'analyse, le dissèque dans le prisme des pensées d'une ouvrière militante. Il rend compte de l'impact que subit la masse des salariés qui se débat comme elle peut face au blog glacial de leur dirigeant où l'accumulation des profits à remplacer le coeur.
Hélène Filhol parle "d'état de guerre" : " On est en guerre sans avoir connu l'autre, la vraie, dans la honte de l'inaction puisqu'on nous affirme vivre en paix et dans la libre circulation des biens et des personnes. Des vies détruites et le territoire ravagé pourtant, avant même d'avoir eu le temps de prendre les armes...". Elle montre très bien le travail de sape, le lent effritement de la classe ouvrière cantonnée à survivre dans les marges d'un système qui les utilise selon son bon vouloir, un système qui ne valorise plus ni le travail, ni l'esprit d'entreprendre mais uniquement la rentabilité et le profit de quelques investisseurs. Elle nous emmène dans la tête de tous ces ouvriers que la machine va rejeter aux abords sinistres des friches industrielles, ne leur restant que leur yeux pour contempler les vestiges d'un passé pourtant pas si glorieux qui leur apparaît malgré tout plus simple, plus solidaire voire plus humain.
La fin sur le blog
Lien : http://sansconnivence.blogsp..
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Le roman se situe dans une usine imaginaire de l'ouest de la France. Un microscopique site dans l'univers de la mondialisation qui de rachat en rachat est menacé de disparition. Les ouvriers séquestrent alors leur patron, pour une fois présent dans l'usine.
Plusiers récits dans cet ouvrage. L'histoire de l'usine depuis sa création, les bouleversements qu'elle subit depuis la mondialisation et pour terminer les vies de ses employés dont l'horizon se trouve bouché.
L'autrice utilise une langue précise mais sans pathos tout en réussissant à associer temps long, intermédiaire (une vie), et bref (occupation et séquestration du patron).
A découvrir
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Tous ceux qui ont vécu un plan de licenciement ou de redressement y retrouveront les ficelles habilement dirigées par des manipulateurs choisis et habiles pour berner et manipuler le personnel et parvenir à leurs fins, acheter, revendre, faire des profits au détriment de la main d'oeuvre. J'ai revécu le stress du licenciement de l'entreprise dans laquelle je travaillais, les mêmes arguments mensongers, le mépris des liquidateurs, l'arrogance et la froideur des dirigeant placés pour amener une entreprise à sa perte, volontairement, les tentatives de division du personnel, qui sera au final jetable. Comme dans "La centrale", Elisabeth Filhol maîtrise son sujet, elle connaît le monde de l'entreprise, elle replace le sujet dans son histoire, son environnement naturel, elle décrit les sentiments de ces hommes et femmes excédés qui ont décidé de séquestrer le directeur devant l'incohérence de sa gestion, avant le désespoir, et la lente désintégration des rapports humains.
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Le bref temps d'une séquestration de prédateur impavide, le choc des temps courts et des temps longs, dans l'ardoise ancienne et dans l'aluminium nouveau.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2019/03/11/note-de-lecture-bois-ii-elisabeth-filhol/
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Ce roman est plutôt original. Il a un rythme à la fois lent et vif… Il se passe sur une journée. Une journée qui commence à six heures du matin pour finir dans la nuit suivante vers deux ou trois heures du matin.
Nous sommes au sein d'une usine de transformation du fer. Cette usine va mal. Les salariés font grève sur grève. En ce jour J, tous les salariés sont là dès six du matin pour accueillir le grand patron. Un grand patron « inhumain », hautain, sûr de lui, sûr de ses réformes.
Face à lui des employés motivés, désespérés, blasés...
L'auteur nous parle de la naissance de l'usine, de sa grandeur à l'époque de son propriétaire-fondateur qui était toujours là ; toujours présent auprès de ses salariés jusqu'à sa mort.
Il y a un certain nombre de description très dynamiques.

Je le conseille vivement : sur un sujet original et d'actualité. Roman qui change de nos lectures habituelles.
Lien : http://vepug.blogspot.fr/201..
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L'histoire de la séquestration d'un patron parisien venu dans son usine de Bretagne pour négocier le plan de licenciements, vue à travers les pensées de l'une des ouvriers, elle-même déléguée syndicale. L'auteure développe en parallèle le mécanisme qui a conduit à la fermeture de cette entreprise qui était ancienne et avait un vrai savoir-faire (succession mal faite du patriarche créateur de l'entreprise, OPA, revente à un margoulin pour qu'il se charge de la fermeture…). Ca sonne très juste. le style est difficile, un peu sophistiqué, mais dans le contexte actuel de fermetures d'usines et de chômage massif, c'est un livre qui fait mouche.
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Un sujet âpre : après une énième reprise, un site industriel n'en finit pas de péricliter. Les ouvriers de l'usine, simples lignes sur un plan de licenciement, entament une grève qui s'opère dans un contexte de violence économique que l'on connaît bien maintenant. le roman va raconter un instant de révolte ouvrière, la séquestration du patron par ses salariés, dans un contexte de négociation difficile. On oublie bien vite qu'avec le vocabulaire orwellien que nous sert la gauche la plus infidèle à ses principes, un plan de préservation de l'emploi, ou un plan social, ne reste jamais qu'un plan de licenciement massif, qui laissera sur le carreau des hommes et des femmes.

Elisabeth Filhol raconte l'histoire d'une usine, à travers son fondateur historique, comment cette histoire ancrée dans un terroir se mêle à l'évolution de l'économie mondialisée, comment d'une entreprise familiale on arrive à la dépersonnalisation totale des rapports de travail, à une véritable déshumanisation. Elle nous raconte l'histoire d'hommes et de femmes inscrits dans une histoire économique locale, pris dans la tourmente de la finance.

L'obsession financière prend largement le bas sur le projet d'un tissu économico-industriel. le changement n'est pas pour maintenant. C'est un peu la même peste qui atteint la société dans son ensemble, quelque soit le domaine : on forme encore des juristes, des ingénieurs, des pharmaciens, des géographes, que sais-je encore, mais le fait qu'à tous, de plus en plus, on ne demandera pas d'avoir une vision, un projet, mais de faire du commerce, du marketing, de la comm', de la vente, du chiffre. Et c'est exactement ce que représente Mangin, le patron du roman : au départ, ingénieur, homme de projet, de réalisation, il se mue en investisseur avec sa calculette. Et c'est ce que refusent les grévistes du roman : n'être que des lignes comptables.
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