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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Moscou, 1941. Piotr Nesterenko, le directeur du crematorium, est arrêté, accusé d'espionnage au profit de puissances étrangères ennemies.

De par son métier, Nesterenko est le témoin malgré lui, depuis des années, des grandes purges staliniennes, puisque des milliers de cadavres de « traîtres » et autres « espions » lui sont littéralement passés dans les mains avant d'être enfournés dans l'incinérateur.

A ce titre, Nesterenko n'est pas étonné par son arrestation, et ne se fait aucune illusion sur l'issue de son propre « procès ». Cependant, la bureaucratie soviétique étant ce qu'elle est, il faut bien en passer par un minimum de semblant de procédure équitable. Et donc Nesterenko est interrogé en long et en large par un commissaire-enquêteur. C'est au fil de ces interrogatoires qu'on découvre son histoire aussi tumultueuse que celle de son pays. Officier dans l'armée blanche du tsar, il fuit les bolcheviks, s'exile à Constantinople, passe par l'Ukraine, la Serbie, la Pologne, la Bulgarie avant d'échouer à Paris où il sera chauffeur de taxi, avant d'être recruté par le NKVD et de rentrer en URSS. Où il postulera au crematorium, et finira directeur de celui-ci et de l'ensemble des cimetières de Moscou. Toute son histoire est liée par le fil (blanc ou rouge) du désir de l'exilé de rentrer au bercail, et celui de l'amoureux éperdu de retrouver la femme de sa vie.

Mêlant documents historiques (Nesterenko a bien existé) et fiction, Sacha Filipenko recrée avec brio et intelligence les dialogues entre Nesterenko et son enquêteur attitré, en les entrelardant d'une ironie et d'un humour noir irrésistibles. Interrogé et interrogateur jouent à un jeu de chat et de souris impitoyable, même si chacun sait parfaitement que les dés sont pipés et l'issue inéluctable.

A travers le destin mouvementé de cet opportuniste de Nesterenko, l'auteur, opposant notoire à Poutine, raconte aussi l'histoire de la Russie totalitaire et de ses dirigeants obsessionnels et paranoïaques pendant la première moitié du 20ème siècle.

Et comme L Histoire, c'est bien connu, repasse les plats, peut-être ce portrait est-il à nouveau/toujours d'actualité...

En partenariat avec les Editions Noir sur Blanc via Netgalley.
#Kremulator #NetGalleyFrance
Lien : https://voyagesaufildespages..
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Sacha Filipenko est un journaliste et scénariste biélorusse , russophone . Ses prises de position l'opposant à Loukachenko et à Poutine l'ont contraint à quitter la Russie , il vit actuellement en Suisse.
C'est Alexandra Polivanova, qui travaille pour l'ONG Memorial, qui lui met entre les mains le dossier de Piotr Ilitch Nesterenko, directeur du premier crématorium de Moscou.
Kremulator va prendre vie et Piotr va être le narrateur de ce roman. Arrêté en juin 1941 au lendemain de l'invasion allemande, accusé d'être un espion aux services des puissances ennemies, il est transféré à Saratov , les interrogatoires commencent et à travers le récit de sa vie une partie de l'histoire de l'U.R.S.S se dessine. Les grandes purges de 1937/38, la toute puissance de Staline et les évènements évoqués se superposent à d'autres d'avant-hier, d'hier et bien sûr d'aujourd'hui.
" Kremulator, le mot russe pour « crémulateur ». Un mot dans lequel le lecteur entend à la fois un écho du Kremlin et le nom d'un métier qui n'existe pas. le crémulateur est un instrument précis, un broyeur qui pulvérise définitivement ce qui subsiste d'un individu après sa crémation (oui, certains cartilages résistent même à une heure et demie au four). Il me semble qu'il n'y a pas de meilleure métaphore pour désigner la machine répressive soviétique."
Ironie, satyre, farce macabre, morbidité, frisson , suées froides sont au rendez-vous d'un livre qui ne m'a pas laissée indifférente.
Un grand merci aux éditions Noir sur blanc via Netgalley pour ce partage
#Kremulator #NetGalleyFrance !
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« Kremulator », Un Livre de Sacha Filipenko (Biélorussie, né en 1984). 208 pages. Éditions "Noir sur Blanc". 18 Janvier 2024 ...

Les mots sont là, présents, pleins de sens, sans superflu.

C'est l'histoire d'un certain Piotr Nesterenko. « Une ironie glaçante » On nous présente dans une divine qualité, le parcours haut en couleur de cet homme, ce Piotr Nesterenko, ce personnage Russe, ou plutôt, International.
Les aventures de cet être humain, cet agent double, qui vit sur plusieurs tableaux.
Quel de risques pris sciemment !

Nesterenko est interrogé par les forces ennemies, de façon violente, ils essayent de lui faire admettre des éléments compromettants, mais Nesterenko travaille au crématorium, il sait faire disparaitre les preuves…

« Les gens qui mettent fin à leur vie par un suicide sont un, des faibles, et deux, de grands égoïstes ! le suicide doit rester étranger à l'homme soviétique ! »
Celle là doit vous sembler drôlement en désaccord avec vos valeurs. Et moi aussi je comprends qu'on puisse souffrir au point de vouloir en mourir … Des fois, même, la mort est plus innocente qu'un mensonge.

Dans les camps de prisonniers, Piotr s'accommode de la mort « ni plus ni moins » …
J'avais été séduit par un Billet sur Babelio, pensant que mon non intérêt pour les périples de guerres serait supplantés par ma curiosité sur le monde actuel.
Phoenix
++
Lien : https://linktr.ee/phoenixtcg
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Pour commencer, je tiens à remercier Babelio pour la masse critique littérature ainsi que les Éditions Noir sur Blanc de m'avoir fait découvrir cet ouvrage. La quatrième de couverture m'avait interpellé ne connaissant pas cette partie de l'histoire Soviétique.

Le livre raconte la vie invraisemblable, mais vrai, de Piotr Ilitch Nesterenko qui fut le directeur du crématorium de Moscou. Celui-ci a participé aux grandes purges staliniennes dans le milieu des années 30 permettant de faire disparaitre les corps des opposants au régime Soviétique. En novembre 1938 les exécutions prennent fin et le régime de Staline se retourne contre Nesterenko considéré comme un espion à la solde de l'Allemagne nazi. Il fut arrêté à son domicile en juin 1941.

J'ai apprécié comment Sacha Filipenko a construit son roman. Il entremêle les interrogatoires ainsi que des passages du journal de Nesterenko en passant par des monologues adressés à l'amour de sa vie Vera. Malgré un sujet malaisant, l'auteur a réussi à me mettre à l'aise et à captiver mon attention en utilisant avec parcimonie un humour ironique.

Pour conclure, je ne peux que recommander cette lecture. Sacha Filipenko est né en Biélorussie, il est un opposant à Loukachenko et Poutine. Kremulator raisonne tellement avec l'actualité de la guerre en Ukraine. Il mérite d'être connu et reconnu pour son travail de recherche et sa plume agréable à lire.

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Début février, à Berlin, s'est jouée une pièce adaptée du roman de Sacha Filipenko, Kremulator. Il est vrai que le livre de l'écrivain biélorusse, désormais exilé car opposant notoire à Loukachenko et Poutine, se prête idéalement à une représentation théâtrale, avec les interrogatoires qui constituent la plus grande partie de cet ouvrage, qui trace l'étonnante trajectoire du dénommé Piotr Nesterenko, directeur du crématorium de Moscou, lorsqu'il est arrêté en 1941. Ce personnage historique condense à lui seul l'histoire tumultueuse de la Russie de la première moitié du XXe siècle, de la révolution bolchevique à la seconde guerre mondiale. Engagé dans l'armée blanche puis rouge, pilote d'avion, chauffeur de taxi à Paris, espion pour le NKVD : Nesterenko a vécu mille vies avant d'être un témoin privilégié des purges staliniennes, dont il était le Terminator, en tant qu'incinérateur en série. Filipenko a récupéré les archives existantes et utilisé les carnets de Nesterenko, tout en recourant à la fiction quand c'était nécessaire. le résultat est brillant, notamment dans les dialogues entre l'accusé et le commissaire enquêteur, un sommet d'ironie et d'humour noir. Impossible, évidemment, de ne pas penser à la Russie autocratique d'aujourd'hui, dans les réflexions avérées ou prêtées au héros du livre, quant à la permanence de l'âme russe et à la démence continuelle de ses dirigeants. Paix à ses cendres : Nesterenko, aussi fluctuant et opportuniste fut-il, est un incroyable sujet d'observation pour qui s'intéresse un tant soit peu à ce qui s'est passé hier et se déroule aujourd'hui dans le pays le plus vaste et le plus fou du monde.
Lien : https://cinephile-m-etait-co..
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Un grand merci à l équipe de Babelio et aux éditions noir sur blanc qui m'ont permis de découvrir ce titre dans le cadre de Masse Critique.
Kremulator, un nom qui sonne comme une menace, un engin de destruction mais on en n'est pas loin, le kremulator ( crémulateur) est une machine qui broie les os restant après crémation.
Kremularor résonne aussi comme Kremlin exterminateur de même que lla période dont nous parle l'auteur au travers de la vie de Piotr Nesterenko directeur du crématorium de Moscou durant la seconde guerre Mondiale .

Le récit est divisé non pas en chapitres ordinaires mais en compe-rendu d'interrogatoires, au nombre de six et qui scelleront le destin de Nesterenko; mais les jeux sont faits dès la première confrontation entre Piotr et Perepelitsa lieutenant de la sécurité d'État.

Nesterenko n'est qu'un des multiples personnages publics où anonymes qui disparaîtront lors de la période des purges stalinienne, un jour bourreau le lendemain victime; mais Nesterenko n'est pas dupe il sait que son avenir est compromis, il joue avec les nerfs de Perelitsa lorsqu'il repond à ses questions avec ironie et dérision mais sans jamais mentir, ce qui ne le sauvera pas; un jeu du chat et de la souris que Nesterenko tient à mener à la façon des contes des milles et une nuits , tout du moins au début des interrogatoires, car tant qu'il n'est pas arrivé au bout de ses révélations, il pense encore avoir une chance de s'en sortir.L'ironie de la situation est que plus Nesterenko clame la vérité plus il se rapproche de sa fin.

L'auteur nous raconte cette histoire tirée de la réalité à la première personne du singulier avec forces détails comme les hauts gradés ayant eux aussi subi les purges, l'origine des camions gazants qui seront repris quelques temps plus tard par les allemands, le tout sur le ton de la confidence et maniant l'humour noir et la causticité avec brio.

Des notes de bas de pages en nombres nous éclairent sur l'histoire et les Hommes de la Russie d'avant la bataille de Stalingrad.
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C'est un autre des titres qui me tenait à coeur de lire : son auteur, Sacha Filipenko, Саша Филипенко, est un écrivain d'expression russe mais d'origine du Bélarus, plus précisément de Minsk sa capitale, qui l'a vu naître. Les Éditions Noir sur Blanc nous révèlent qu'en tant qu'opposant à Poutine et à Alexandre Loukachenko, président du Bélarus, Sacha Filipenko a dû quitter la Russie en 2020 pour vivre aujourd'hui en Suisse. Après les manifestations qui ont suivi l'élection présidentielle de 2020, Filipenko est devenue l'une des voix du mouvement de protestation biélorusse en Europe. J'ai envie de dire qu'avant même de le lire, on apprécie déjà son auteur. Si dans le fils perdu publié précédemment, il évoque son pays natal, ici, il choisit de revenir sur un personnage passé bien inaperçu dans l'infinité des pages de l'histoire soviétique qui n'en reste pas moins une figure peu commune, par la trajectoire de vie qui fut la sienne : Piotr Ilitch Nesterenko.

La forme choisie pour narrer l'histoire de sa vie est tout aussi peu ordinaire : l'auteur s'en explique en préambule, il a choisi la forme de différents interrogatoires – dans une première partie – pour refaire le fil de sa biographie, alors qu'il a été arrêté et emprisonné, accusé d'être un ennemi d'état. À mi-chemin entre fiction et récit biographique, l'histoire de Piotr Nesterenko est celle d'un Russe blanc, qui a tout essayé pour sauver sa peau, loin de l'autoritarisme soviétique, un homme peu scrupuleux, qui pourtant a péché par amour. Kremulator, c'est ce tout premier directeur du crématorium de Moscou qu'était Piotr Nesterenko lorsqu'il fut arrêté en raison de l'article 58, sanctionnant les contre-révolutionnaires. Kremulator, c'est aussi cette allusion à peine cachée au Kremlin, c'est la machine qui finit de broyer les os des êtres humains incinérés qui subsistent encore au milieu des cendres, c'est pour Sacha Filipenko, la métaphore ultime pour désigner le pouvoir soviétique.

Automne 1941, Nesterenko est arrêté, incarcéré, interrogé. Sacha Filipenko donne la voix à son personnage, son Kremulator, qui raconte les événements en s'adressant à ce que l'on devine être la femme aimée, depuis son arrestation, ses interrogatoires de ce fidèle au pouvoir, le citoyen directeur Perepelitsa. le tout entrecoupé de réminiscences de sa famille, son enfance, de ses origines et d'un passé qu'il a fui à travers l'Europe et qui a fini par le rattraper. le destin de Nesterenko est une parfaite illustration du système soviétique, de son fonctionnement, son totalitarisme : le besoin de recourir aux néologismes, Kremulator, totalgique, démontre de cette impossibilité à définir de façon satisfaisante la dimension de ce que fut le système. Il faut inventer, unir deux notions en une seule expression, pour donner plus de puissance, à l'image de tous ces corps incinérés, à la chaîne, sans plus de soin ou d'intérêt, comme si derrière ces corps, il n'y avait pas eu d'existence, des proches attachés à lui. Et comme on peut souvent le lire, l'auteur utilise la dérision à travers un Nesterenko désabusé pour répondre à l'interrogatoire du camarade-enquêteur, au système, au destin qui s'apprête à être le sien, à l'ineptie globale. On ne peut pas ne pas penser aux camps allemands, aux fours crématoires, en parallèle des interrogatoires du Kremulator, qui parle de sa tâche sur un ton très détaché, sans oublier les détails sordides sur le fabricant de ces fours qu'ils ont morbidement en commun avec les Allemands. Il semblerait que plus l'on tombe dans le détail inutile et superflu, plus ces derniers participent à accentuer l'horreur de la situation. Une horreur atténuée par la redondance de ces « ma douce »qu'il adresse à cette maîtresse absente.

On aime les dialogues savoureux, l'ironie pince-sans-rire, provocatrice d'un Nesterenko, toujours sur la ligne rouge avec son interrogateur, une ligne qu'il lui arrive même souvent de dépasser, où même le scénario de sa propre mort devient objet de débat. Et ce double retournement de situation qui scelle le destin de notre homme soviétique, qui n'a pas su s'habituer à Paris, dans une histoire d'amour qu'il n'imagine plus qu'il ne vit. Nous avons ici le parfait exemple de l'ennemi du peuple soviétique, tantôt blanc, tantôt rouge, passé par la Yougoslavie, la France, avant de revenir chez lui dans un piège qui va se refermer sur lui : un homme dont les convictions épousent la voie de secours qui peut le sauver, et qui a choisit d'écouter son instinct de préservation plutôt que de suivre la voie du bien. le roman a reçu le Prix littéraire français Transfuge du meilleur roman européen 2024, il a été adapté au théâtre. En 2024, la première de la pièce basée sur le roman a eu lieu à Berlin, mise en scène par Maxim Didenko, avec Maxim Sukhanov. Au printemps 2024, des projections de Kremulator sont prévues, en plus de Berlin, à Limassol et à Amsterdam.
Lien : https://tempsdelectureblog.w..
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J'ai découvert Sacha Filipenko au cours d'un très intéressant numéro de Thinkerview (avec toutefois des questions un peu poussives du journaliste, qui essayait de comparer les violences policières -incomparables- lors de la répression des gilets jaunes et celles exercées par Loukachenko à ses détracteurs en Biélorussie).

Dans cet entretien, il évoquait déjà Kremulator, et j'avais bien regretté de remarquer qu'il n'avait pas encore été traduit en français : c'est désormais chose faite. le livre est une fiction biographique autour de la figure de Piotr Nesterenko, ancien pilote d'avion, qui s'est retrouvé, suite à une vie rocambolesque faite de trahisons, de désertion, aux commandes du crematorium de Moscou.

Filipenko explique qu'il ne souhaitait pas écrire ce roman, qui lui avait été suggéré par Alexandra Polivanovna, membre de l'ONG Memorial, oeuvrant à la reconnaissance des souffrances vécues au cours de l'époque soviétique notamment. A force de parcourir le dossier de cet ancien exemple de l'Homo Sovieticus, l'auteur s'est retrouvé hanté par le personnage, et y a sans doute vu un moyen de dévoiler que l'empire n'a jamais réellement pris fin, pour reprendre Philip K Dick.

Le roman mêle l'ironie grinçante, le témoignage, les archives, et des points de vues narratifs différents (Nesterenko pendant les entretiens / ses pensées / ses propos directement adressés à sa femme...) avec plus ou moins de réussite. Il en ressort toutefois un objet hybride, peut-être inutilement boursouflé par ce parti pris esthétique qui aurait pu se suffire à un seul spectre, ou du moins, ne pas être aussi appuyé. Cette pléthore peut se comprendre : comment, en effet, raconter une vie qui consistait à "transformer des drames humains en cendres" ?

On y découvre des détails, des légendes urbaines parfois croustillantes, et la manière dont un homme a pu être chargé de brûler des dissidents, de grands hommes, des officiels qui étaient chargés de faire exécuter ceux qu'il avait déjà dû incinérer, comme dans un imparable ballet imparable dans lequel on finit toujours par occuper la place du coupable, et à être jeté dans des camions estampillés "Champagne" avant de connaître son ultime demeure, loin d'être festive.

La lecture en vaut toutefois la peine, pour tous les amateurs d'histoire soviétique et de littérature slave. Certains passages apportent une réflexion bouleversante sur la vie, la mort, le sort de l'individu face au rouleau compresseur administratif soviétique et nous rappellent à quel point la vie est une infinie farce tragique. Ces points de vue multiples confèrent une théâtralité teintée de schizophrénie à l'ouvrage, pour mieux explorer un Enfer rouge, absurde mais bien réel.
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● L'auteur, le livre (208 pages, 2024, 2022 en VO) :
Opposant déclaré au régime pro-russe de Loukachenko, Sasha Filipenko est un écrivain biélorusse qui vit en exil dans différents pays d'Europe dont la Suisse et la Belgique.
Avec son Kremulator, il s'est emparé d'un personnage étonnant mais authentique : Piotr Ilitch Nesterenko était le responsable du crématorium funéraire de Moscou chargé d'incinérer les décédés et accessoirement, les multiples victimes des purges staliniennes.
Un homme né avec le siècle dernier et donc au parcours étonnant qui finit comme tant d'autres dans une geôle du NKVD, accusé de trahison. le livre est basé principalement sur les interrogatoires dont il fit l'objet.
C'est toute l'histoire du début du siècle qui défile dans ces fiches grâce au parcours étonnant de ce Nesterenko, véritable girouette politique (un nom qui pourrait se traduire par L'Ineffaçable, on ne peut mieux dire !).
Evidemment, au vu du pedigree de l'auteur, ce portrait sera un dossier à charge contre la machine répressive soviétique.

● le contexte :
Le mieux est sans aucun doute de laisser la parole à l'auteur dans sa préface :
[...] En 1941, le directeur du crématorium de Moscou, Piotr Nesterenko, est arrêté. Il sait mieux que personne ce qui arrive aux victimes des Grandes Purges staliniennes.
Opposants, espions présumés, anciens héros de la révolution et autres ennemis du peuple – il les a tous incinérés.
Au fil des interrogatoires, il doit répondre de sa vie tumultueuse : officier de l'Armée blanche ayant fui les bolcheviks jusqu'en Ukraine, survivant d'un étrange accident d'avion, émigré à Istanbul puis à Paris, amoureux fidèle à la passion de sa jeunesse – voici un parcours qui ne plaît pas aux autorités soviétiques…
[...] Tu parles d'une vie ! Un officier blanc, mobilisé lors de la Première Guerre mondiale, qui a trouvé le moyen de servir pour l'Armée blanche et pour l'Armée rouge, pour les Allemands et pour la Rada ukrainienne. Un pilote ayant survécu au crash de son avion, combattant de l'armée de Denikine, contraint à émigrer, transitant par plusieurs pays européens, travaillant comme chauffeur de taxi à Paris avant de revenir à Moscou, où il est devenu le premier directeur du crématorium de la ville, édifié dans l'enceinte du monastère de Donskoï. Une destinée loin d'être triste, bien que couverte de cendre. Une girouette-modèle ? Un vrai caméléon ? Ou un pauvre type, qui a juste eu le malheur de venir au monde dans l'Empire russe de la fin du XIXe siècle ?
[...] le matin, il incinérait les têtes du régime soviétique : Ordjonikidze, Gorki et Maïakovski. La nuit, il réceptionnait les cadavres des fusillés qu'il devait brûler pour faire disparaître la trace des crimes rouges. Mais quand donc dormait-il ?
[...] Kremulator, le mot russe pour « crémulateur ». Un mot dans lequel le lecteur entend à la fois un écho du Kremlin et le nom d'un métier qui n'existe pas. le crémulateur est un instrument précis, un broyeur qui pulvérise définitivement ce qui subsiste d'un individu après sa crémation (oui, certains cartilages résistent même à une heure et demie au four). Il me semble qu'il n'y a pas de meilleure métaphore pour désigner la machine répressive soviétique.

● On aime :
❤️ On aime bien entendu le sujet dont s'est emparé Filipenko : quel remarquable personnage au parcours étonnant avec qui on révise l'Histoire d'une période un peu trouble que l'on connait mal.
On aurait même apprécié que l'auteur développe un peu plus le contexte politique du "travail" de Nesterenko : tant de "traîtres" sont passés entre les mains de ce nouveau Charon ...
❤️ On aime l'humour noir, grinçant, caustique de l'auteur : c'était sans doute aussi celui du personnage, une ironie et une distance indispensables à ceux qui côtoient chaque jour la mort d'aussi près.

● L'intrigue :
En 1941, les Allemands attaquent l'URSS et les soviétiques sont aux abois, pressés d'éliminer les espions en tout genre. Mais il ne reste que très peu de candidats après les grandes purges des années 30. On ramasse ce qu'on peut et vient le tour de Nesterenko.
Le roman se base sur les interrogatoires kafkaïens de Nesterenko par le NKVD et les fiches qui retracent le parcours étonnant du bonhomme dans un début de siècle très agité : c'est l'époque de la déroute de l'Armée blanche russe jusqu'à Gallipoli, l'époque de la Grande Guerre et de la Triple-Entente, celle du fiasco des Dardanelles, ...
Après être passé par la Serbie, la Bulgarie, la Pologne et Paris où il sera taxi, Nesterenko revient à Moscou en 1926 et se retrouve responsable des cimetières de la ville.
Avec l'aide d'une honorable société allemande, il installe le premier crématorium.
Le jour, il officie pour accompagner les cérémonies funéraires des moscovites.
La nuit, le NKVD lui livre un camion de fusillés à faire disparaître ...
Pour celles et ceux qui aiment l'humour noir.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions Noir sur blanc.
Lien : https://bmr-mam.blogspot.com..
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