L'étrange histoire de Benjamin Button - La lie du bonheur

Son sommeil d’enfant n’était troublé par aucun souvenir ; rien ne lui rappelait les beaux jours de l’université, les fabuleuses années où il faisait palpiter le cœur de bien des jeunes filles. Il n’y avait que les parois blanches et protectrices de son berceau(...)

Mr Button suivit des yeux le doigt pointé, et voici ce qu'il vit. Enroulé dans une volumineuse couverture blanche, et partiellement enfoncé dans l'un des berceaux, un homme âgé de quelque soixante dix ans se tenait assis . Ses cheveux rares étaient presque blancs et une longue barbe grise lui pendait au menton, agitée d'une ondulation absurde par la brise qui venait de la fenêtre. Il leva sur Mr Button des yeux pâles fanés, où se lisait une interrogation muette. - Suis-je fou? explosa Mr Button, dont l'épouvante se condensait en rage. S'agit-il d'une sinistre farce de carabins?
- Cela ne nous fait pas l'effet d'une farce, répliqua sèchement l'infirmière. Et j'ignore si vous êtes fou ou non; mais il s'agit incontestablement de votre enfant.

L'étrange histoire de Benjamin Button :
Puis tout devient noir, et son berceau blanc, comme les visages troubles qui s'agitaient au-dessus de lui, et le goût du lait chaud et sucré, disparurent à jamais de son esprit.

Un diamant gros comme le Ritz :
Passons quelque temps à nous aimer, vous et moi, un an peut-être. C'est une forme d'ivresse divine que nous pouvons tous connaître... c'est un grand pêché que d'avoir inventé la conscience. Perdons la pendant quelques heures.

Au bout d'un certain temps, la peinture blanche qui revêtait la maison de Jeffrey Certain passa un compromis avec les soleils de multiples juillets et prouva sa bonne foi en virant au gris. Elle commença à peler; de grandes écailles de peinture desséchée se repliaient en arrière comme un vieil homme se livrant à une gymnastique grotesque, et chutaient enfin pour se décomposer dans les hautes herbes.

Il les compara : Kitty, nerveuse sans être sensible, capricieuse sans imagination, une flamme qui vacillait sans jamais brûler; et Roxane, suave comme une nuit de printemps, tout entière résumée dans son rire d'adolescente.

Il entra un jour chez lui muni d'un hochet qu'il donna à Benjamin, et il tint absolument à le voir "jouer avec", sur quoi le vieillard prit l'objet d'un air las et produisit docilement un bruit de grelot qui se répéta à intervalles réguliers tout le long du jour.

Mr. Button demeura pourtant inflexible. Benjamin était un bébé, il resterait un bébé. Benjamin n'aimait pas le lait chaud, il se passerait de manger, déclara d'abord son père; mais on finit par le persuader d'autoriser le pain et le beurre, et même la bouillie d'avoine, en manière de compromis.

Il ne se rappelait pas. Il ne se rappelait pas clairement si le lait de son dernier biberon était chaud ou froid, ni comment s'écoulaient les jours. Il ne connaissait que son berceau et la présence de Nana. Puis il n'eut plus aucune mémoire. Quand il avait faim, il pleurait. Voilà tout. Le jour, la nuit, il respirait. Sur lui planaient de doux murmures qu'il entendait à peine, des odeurs faiblement différenciées, la lumière, l'ombre. Enfin, tout fut obscurité, et son berceau blanc, les visages imprécis qui bougeaient au-dessus de lui, le goût tiède, sucré du lait s'effacèrent en entier de sa conscience.

On va tous dans la même direction, on prend des chemins différents c’est tout.

Il alla trouver son père.
- Je suis grand, affirma-t-il résolument. Je veux porter un pantalon.
Mr Button hésita :
- Mon Dieu, je ne sais pas, répondit-il enfin. C'est quatorze ans, l'âge du pantalon, et tu n'en as que douze...