Oui, je meurs, car est-ce vivre de voir son passé comme l'eau écoulée dans la mer, le présent comme une cage, l'avenir comme un linceul ?
À toi, mon cher Alfred,
ces pages sont dédiées et données1
Elles renferment une âme tout entière. – Est-ce la mienne ? Est-ce celle d'un autre ? J'avais d'abord voulu faire un roman intime où le scepticisme serait poussé jusqu'aux dernières bornes du désespoir, mais, peu à peu, en écrivant, l'impression personnelle perça à travers la fable, l'âme remua la plume et l'écrasa.
J'aime donc mieux laisser cela dans le mystère des conjectures. Pour toi, tu n'en feras pas.
Seulement, tu croiras peut-être en bien des endroits que l'expression est forcée et le tableau assombri à plaisir. Rappelle-toi que c'est un fou qui a écrit ces pages, et, si le mot paraît souvent surpasser le sentiment qu'il exprime, c'est que, ailleurs, il a fléchi sous le poids du cœur.
Adieu, pense à moi et pour moi.
S'il y a sur la terre et parmi tous les néants une croyance qu'on adore, s'il est quelque chose de saint, de pur, de sublime, quelque chose qui aille à ce désir immodéré de l'infini et du vague que nous appelons âme, c'est l'art.
Qui me rendra maintenant toutes les choses que j'ai perdues : ma virginité, mes rêves, mes illusions, toutes choses fanées, pauvres fleur que la gelée a tuées avant d'être épanouies.
Je n'ai jamais aimé une vie réglée, des heures fixes, une existence d'horloge où il faut que la pensée, s'arrête avec la cloche, où tout est remonté d'avance pour des siècles et des générations. Cette régularité sans doute peut convenir au plus grand nombre, mais pour le pauvre enfant qui se nourrit de poésie, de rêves et de chimères, qui pense à l'amour et à toutes les balivernes, c'est l'éveiller sans cesse de ce songe sublime, c'est ne pas lui laisser un moment de repos, c'est l'étouffer en le ramenant dans notre atmosphère de matérialisme et de bon sens dont il a horreur et dégoût.
Et cependant, combien de choses j'ai dans l'âme, combien de forces intimes et combien d'océans de colère et d'amours se heurtent, se brisent dans ce coeur si faible, si débile, si lassé, si épuisé !
La platitude de la traduction française disparaissait devant les pensées seules comme si elle eussent eu un style à elles sans les mots eux-mêmes.
Après avoir passé sa vie dans les palais et usé ses pieds sur les dalles des grandes villes, l'homme va mourir dans les bois.
La Rome impériale, cette belle rieuse se roulant dans l'orgie, salissant ses nobles vêtements du vin de la débauche, plus fière de ses vices qu'elle ne l'était de ses vertus.
J'ai tellement pris l'habitude du rire et du scepticisme qu'on y trouvera depuis le commencement jusqu'à la fin une plaisanterie perpétuelle et les gens gais qui aiment à rire pourront à la fin rire de l'auteur et d'eux-mêmes.