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Henri Thomas (Traducteur)Pierre Moreau (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070366088
534 pages
Gallimard (16/09/1974)
3.81/5   2115 notes
Résumé :


Gustave Flaubert Salammbô

Il arriva juste au pied de la terrasse. Salammbô était penchée sur la balustrade ; ces effroyables prunelles la contemplaient, et la conscience lui surgit de tout ce qu'il avait souffert pour elle. Bien qu'il agonisât, elle le revoyait dans sa tente, à genoux, lui entourant la taille de ses bras, balbutiant des paroles douces ; elle avait soif de les sentir encore, de les entendre ; elle ne voulait pas qu'il ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (152) Voir plus Ajouter une critique
3,81

sur 2115 notes
Avec Salâmbo, qui ne me semble pas être un roman historique, mais un travail littéraire sur le modèle historique tout en le modifiant, Flaubert a réussi un travail d'illusionniste ; il a fixé le mirage des mots par les mots plutôt que de se situer dans la perspective « du réel aux mots ».
Je trouve le résultat brillant.
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Carnage à Carthage.
Pour honorer les 200 bougies de Gustave Flaubert, j'ai terminé l'année avec son péplum gore, salammbô, inspiré par ses voyages en Orient. Je n'ai pas dû fréquenter les mêmes clubs de vacances.
Bon moi, les tuniques moulantes, les Maciste en sandales, bien huilés et gonflés aux stéroïdes, les princesses qui s'aèrent le nombril, maquillées comme Nina Hagen, ce n'est pas ma tasse de thé à la menthe.
Nous sommes en 241 avant J.C et plus important pour bien vous situer, 2214 avant ODP31. Carthage est assiégée par des mercenaires qui s'estiment mal payés après plusieurs campagnes militaires. C'est important la reconnaissance en management.
Mathô, le rebelle en chef, tombe sous le charme fatal de la princesse de Carthage salammbô. Oui, c'est vrai, on dirait un nom d'une marque de cookies mais la demoiselle n'est pas seulemmbelle, elle est aussi mystique, tendance bien perchée dans les astres. Il faut dire qu'elle vit presque recluse dans palais et que son meilleur ami est un serpent qui lui caresse langoureusement les chevilles.
salammbô n'est pas Emma Bovary et elle ne comprend rien aux déclarations de Mathô qui vole un voile sacré pour la séduire. le barbare est un peu lourdingue côté drague mais n'ayant jamais vu le grand méchant loup, la princesse confond désir et malédiction.
Le père de la Miss Carthage, Hamilcar, prend très mal la mutinerie des mercenaires et comme le dialogue social n'est pas trop à la mode durant l'antiquité, le récit, tel mon dernier chapon, va être farci de massacres, de sacrifices et de batailles, les tripes à l'air.
Flaubert plonge son lecteur au milieu des combats et des trahisons sans lui épargner aucun détail. Il décrit avec beaucoup de réalisme les stratégies, plans de table et de batailles, et après ce roman, je crois pouvoir me lancer dans une thèse sur tous les modèles de catapultes de l'antiquité. Surtout, il développe une vraie esthétique de la violence et cette sauvagerie contraste avec la beauté d'un orient poétique et rêvé.
A sa sortie, salammbô va connaître un succès immense et même si la critique est divisée, ce roman poétique, vinaigrette de passions et de violences, va inspirer bon nombre d'artistes et notamment le peintre Gustave Moreau.
Pour ma part, ce roman m'a moins marqué que l'Education sentimentale, Madame Bovary ou le truculent Bouvard et Pécuchet mais on y retrouve cette plume sans illusion sur l'humanité et cette capacité unique à créer des mythes littéraires.
Quo Vadis Domine ? … Ben, je vais ouvrir mon agenda 2022. Bonne année.
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Incroyable, inimaginable, je suis heureuse d'avoir lu salammbô. Depuis tant d'années il attendait dans ma bibliothèque, une crainte de ne pas aimer, de ne pas comprendre, de m'ennuyer parce que je ne lis que peu de romans historiques et que je n'avais pas d'appétence pour les guerres puniques, persuadée d'être perdue par manque de références... bref, impossible de le commencer.
Alors je m'y suis mise. Lentement. Et c'est là que je suis épatée par Flaubert car j'ai vu le carnage, j'ai ressenti la douleur, et j'ai eu l'impression de frôler les corps déchiquetés. J'avoue qu'il y a des moments de lectures difficiles, des tortures épouvantables et l'écriture de cet auteur plonge le lecteur dans l'infiniment beau comme le terrible. J'ai donc été gênée, perturbée, voire parfois dégoutée pendant la lecture car j'assistais à l'indicible. Mais j'ai suivi les différentes campagnes et ce roman me laisse une marque profonde de ce qu'à pu être cette époque.
Mais j'ai du m'accrocher car non seulement c'est un univers dur, mais Flaubert utilise toute la panoplie du vocabulaire qui va bien. Il m'a fallu lire lentement, mais les mots participent au dépaysement et ont fait que j'étais extraite d'ici pour être plongée dans Carthage l'ancienne. Envoûtant.
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Je viens de terminer la lecture de salammbô, de Gustave Flaubert et c'est pour moi un véritable coup de coeur littéraire. Je pense que le qualificatif de chef d'oeuvre n'est pas exagéré. Ah ! Quand je pense que ce roman était là dans ma bibliothèque à m'attendre depuis des lustres ! Je m'en veux...
Dès l'incipit, le ton est donné. Il est à la fois d'une simplicité désarmante, d'une poésie inouïe et d'un exotisme flamboyant. Écoutez un peu, car Flaubert, cest aussi le bonheur de le lire à haute voix : « C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar. »
Cela ressemble au début d'une fable, avec cette phrase sonore et harmonieuse qui sonne comme un haïku et qui invite à dérouler les pages...
Je vous pose rapidement l'intrigue. Nous sommes au IIIème siècle avant J.-C., la première guerre punique vient de se terminer, qui opposa Carthage à Rome. Roman historique ? Pas tout à fait, même si Flaubert s'est beaucoup documenté, a même voyagé sur les pourtours de la Méditerranée pour s'imprégner des paysages, des sensations, des odeurs, de l'espace, de la topographie, imaginer comment planter le décor, déverser des armées et des cohortes d'éléphants dans les pages de son récit, poser l'intrigue amoureuse et ce personnage totalement sorti de son imaginaire, salammbô. Voilà aussi un nom teinté d'exotisme envoûtant !
Dans cette expérience orientaliste, Flaubert avoue même dans sa Correspondance avoir ramené de son premier voyage en Méditerranée un herpès génital, sans savoir laquelle des deux femmes, « la Turque ou la Chrétienne » ce sont ses mots, rencontrées la même nuit et invitées toutes les deux dans la chambre qu'il partageait avec Maxime du Camp son compagnon de voyage, lui avait offert ce souvenir désagréable dont on dit qu'il le poursuivra jusqu'à sa mort et en fut peut-être la cause de celle-ci...
Le récit démarre par la scène d'un festin, scène démente, outrancière qui donne le ton, les mercenaires, qui ont contribué par leur nombre et leur bravoure à la victoire, fêtent à Carthage la fin de la guerre, au sein même des jardins du suffète Hamilcar, général en chef des forces carthaginoises qui conduisit cette guerre et qui n'est pas encore revenu. Les mercenaires ont franchi les portes de Carthage et dans ce jardin sont venus réclamer leur dû auprès du général Hamilcar, absent. Les aristocrates de Carthage refusent de les payer, invoquant les finances mises à mal à cause de la guerre. Se sentant victimes d'une injustice, vexés, les redoutables mercenaires dévastent la propriété d'Hamilcar sous les yeux de salammbô, la fille du général mais aussi prêtresse de Tanit déesse de la Lune, qui tente de les calmer. C'est le carnage à Carthage. Un homme, le chef des mercenaires, le libyen Mâtho tombe alors éperdument amoureux de cette vierge divine.
Plus tard, il aura l'affront de voler le zaïmph, le voile sacré et vénéré de la déesse Tanit, dans le temple qui lui est dédié et sous les yeux de salammbô.
De cette rencontre va naître une liaison fatale, qui va précipiter tout le monde dans la guerre, une guerre sans merci, conquête du pouvoir, conquête de Carthage, conquête de salammbô...
À partir de cet instant, salammbô n'aura pas d'autre choix, imposé par son père sous la pression des prêtres de Carthage qui dictent le pouvoir politique et religieux, que d'aller elle-même récupérer le voile sacré, c'est elle qui doit laver l'outrage, salammbô est envoyée au sacrifice par la justice des hommes et des Dieux...

" Il était à genoux, par terre, devant elle ; et il lui entourait la taille de ses deux bras, la tête en arrière, les mains errantes ; les disques d'or suspendus à ses oreilles luisaient sur son cou bronzé ; de grosses larmes roulaient dans ses yeux pareils à des globes d'argent ; il soupirait d'une façon caressante, et murmurait de vagues paroles, plus légères qu'une brise et suaves comme un baiser.
salammbô était envahie par une mollesse où elle perdait toute conscience d'elle-même. Quelque chose à la fois d'intime et de supérieur, un ordre des Dieux la forçait à s'y abandonner ; des nuages la soulevaient, et, en défaillant, elle se renversa sur le lit dans les poils du lion. Mâtho lui saisit les talons, la chaînette d'or éclata, et les deux bouts, en s'envolant, frappèrent la toile comme deux vipères rebondissantes. le zaïmph tomba, l'enveloppait ; elle aperçut la figure de Mâtho se courbant sur sa poitrine. "

Après cela, toutes les scènes d'amour que vous rencontrerez dans les autres romans vous paraîtront bien fades...

Alors, ce sera un déferlement de violences inouïes, de massacres. C'est un récit d'une très grande férocité, les scènes décrites sont horribles. Les mots de Flaubert dans leur justesse sont là aussi pour dire l'innommable.
Le malheur humain est sans limite, il y a une violence de l'Histoire, Flaubert nous montre la capacité de violence de cette Histoire
J'y ai vu un pamphlet contre les guerres, salammbô montre, dénonce en quelque sorte cette capacité de l'humanité de produire des massacres de masse. Ils seront nombreux, hélas, après Flaubert, après l'écriture de son récit. Les mots de l'écrivain auront été vains...
J'y ai vu aussi un autre pamphlet contre les religions qui sèment ces guerres. Ici Flaubert montre la folie humaine capable d'inventer des dieux qui vont exiger des hommes jusqu'à leur propre destruction. Ici ce qui m'a saisi c'est jusqu'à quel point les hommes peuvent se saisir des dieux qu'ils vénèrent pour justifier leurs actes. Cela ne vous évoque rien ?
Dans ce désastre et cette folie, salammbô n'incarne pas que la passion amoureuse, c'est une femme fatale, damnée, comme celles des récits de la mythologie qui ont causé des guerres, précipité la chute d'empires par leur beauté et leur mystère. Comment ne pas penser alors à Hélène, à la guerre de Troie, à l'Iliade... ? C'est le roman d'une tentative d'émancipation, d'une femme qui cherche à transgresser les lois des hommes et des prêtres.
C'est un roman énorme comme les éléphants qui traversent les pages, détruisent tout sur leur passage.
L'imaginaire de Flaubert est ici à son comble. C'est un tourbillon d'images. C'est un déferlement de sensations, d'émotions, de passion amoureuse...
Il y a une justesse de l'écriture, c'est comme un chant lyrique, une sorte d'opéra, c'est un péplum en prose poétique, ce sont des mots teintés d'odeurs et de couleurs, pour dire l'horreur, les guerres, la folie humaine.
La beauté fluide de l'écriture de salammbô est intemporelle. Elle est envoûtante et dévastatrice comme les armées qui s'affrontent sous le soleil de Carthage pour salammbô. Comme le vertige des mots de Flaubert et leurs mirages. C'est juste beau.
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Adolescente, j'ai lu et aimé salammbô. Je n'en ai gardé que des souvenirs très vagues, ceux d'une lecture riche, d'un style foisonnant, de magnifiques tournures de phrases et d'une belle héroïne au destin tragique.
Suite à la superbe critique de Berni_29 que je remercie infiniment, j'ai eu envie de le relire.

*
L'histoire commence au IIIe siècle avant J.C., après la première guerre punique, au moment où les riches marchands de Carthage, plus soucieux de leurs richesses que de la ville, refusent de payer ce qu'ils doivent à l'armée de mercenaires qui a vaillamment combattu Rome auprès d'Hamilcar, le plus grand général carthaginois. Ils décident alors de se révolter et d'attaquer la ville.

*
"salammbô", c'est au départ Carthage qui nous apparaît dans toute sa magnificence, son opulence.
Gustave Flaubert commence son récit par de magnifiques descriptions de la ville. Sous les mots de l'auteur, elle se pare de majesté, de luxe et d'une surabondance de richesses.

"salammbô", c'est aussi le récit de cet incroyable siège que vont entamer les barbares, bien décidés à profiter des récompenses promises. Mais le plus beau joyau de Carthage, ne serait-il pas la magnifique salammbô, objet de toutes les convoitises ?

Car salammbô, c'est avant tout le nom d'une grande prêtresse de la déesse Tanit et la fille du grand Hamilcar Barca.
Mathô, un des chefs barbares, va en tomber follement amoureux.

« Sa chevelure, poudrée d'un sable violet, et réunie en forme de tour selon la mode des vierges chananéennes, la faisait paraître plus grande. Des tresses de perles attachées à ses tempes descendaient jusqu'aux coins de sa bouche, rose comme une grenade entrouverte. Il y avait sur sa poitrine un assemblage de pierres lumineuses, imitant par leur bigarrure les écailles d'une murène. Ses bras, garnis de diamants, sortaient nus de sa tunique sans manches, étoilée de fleurs rouges sur un fond tout noir. Elle portait entre les chevilles une chaînette d'or pour régler sa marche, et son grand manteau de pourpre sombre, taillé dans une étoffe inconnue, traînait derrière elle, faisant à chacun de ses pas comme une large vague qui la suivait. »

*
Ce que je retiens avant tout de cette histoire, c'est le style inimitable de Gustave Flaubert. Je me suis laissée porter par le rythme, la mélodie, les mots qu'impose le texte.
Dans une prose poétique et musicale soutenue par de longues phrases, l'auteur décrit le conflit avec un luxuriance de détails. Son écriture très visuelle, très sensorielle capte les couleurs, les odeurs, les mouvements, les bruits, créant une ambiance écrasante tout au long du récit.

*
Mais c'est aussi une oeuvre où domine la cruauté, la barbarie, la sauvagerie.
La délicatesse, le raffinement et la beauté flamboyante de Carthage ne sont qu'apparence. Sous la couche de vernis, se cache un peuple dur, impassible, menaçant, féroce, monstrueux.

« Cent pas plus loin ils en virent deux autres ; puis, tout à coup, parut une longue file de croix supportant des lions. Les uns étaient morts depuis si longtemps qu'il ne restait plus contre le bois que les débris de leurs squelettes ; d'autres à moitié rongés tordaient la gueule en faisant une horrible grimace ; il y en avait d'énormes ; l'arbre de la croix pliait sous eux ; et ils se balançaient au vent, tandis que sur leur tête des bandes de corbeaux tournoyaient dans l'air, sans jamais s'arrêter. Ainsi se vengeaient les paysans carthaginois quand ils avaient pris quelque bête féroce ; ils espéraient par cet exemple terrifier les autres. Les Barbares, cessant de rire, tombèrent dans un long étonnement. « Quel est ce peuple, – pensaient-ils, – qui s'amuse à crucifier des lions ! » »

Le lecteur est confronté à un très fort contraste entre la beauté exotique de Carthage, de salammbô et les horreurs de la guerre où les hommes s'entretuent dans des combats au corps à corps.

M'apparaissent plusieurs tableaux effrayants et écoeurants dans lesquels des lions agonisants sont crucifiés ; où des corps, soldats et animaux enchevêtrés, s'entassent et se fondent dans des mares de sang et de viscères ; où des entrailles humaines font comme des guirlandes autour des défenses des éléphants mutilés, dressés à tuer ; où des corbeaux festinent de cadavres humains en décomposition ; où des hommes mourant de faim se nourrissent de la chair de leurs camarades morts ; où des enfants sont offerts aux Dieux pour obtenir leur clémence.

*
Ce récit m'a beaucoup plu, mais j'ai tout de même quelques petits regrets qui n'entachent en rien la qualité du récit. J'espère par mes aveux, ne pas m'attirer les foudres des passionnés de Gustave Flaubert.

Mon premier regret est que j'aurais aimé que la psychologie de salammbô soit davantage approfondie. On la sent cachée entre les lignes, délicieuse, obsédante, mais sa présence est voilée par les affres d'une guerre impitoyable.

L'amour entre salammbô et Mathô est présenté de manière passionnelle, tout en gardant beaucoup de pudeur et de retenue. Les deux amants sont déchirés par des émotions contradictoires, amour et haine, attirance et dégoût, détachement et convoitise. Les mots choisis par l'auteur magnifient cette relation par un jeu de symbolisme et de silences dans la narration.

« salammbô était envahie par une mollesse où elle perdait toute conscience d'elle-même. Quelque chose à la fois d'intime et de supérieur, un ordre des Dieux la forçait à s'y abandonner ; des nuages la soulevaient ; en défaillant, elle se renversa sur le lit dans les poils du lion. Mâtho lui saisit les talons, la chaînette d'or éclata, et les deux bouts, en s'envolant, frappèrent la toile comme deux vipères rebondissantes. »

Gustave Flaubert n'a pas son pareil pour nous décrire cet amour qu'ils se vouent, tout en nuances, mais et c'est mon second regret, je trouve que la relation amoureuse prend une place relativement minime au regard des scènes de guerre.

*
Pour conclure, ce roman est une épopée historique triomphante de cruauté et de violence, mais également une belle histoire d'amour vouée à l'échec. Tout au long du récit, le lecteur peut voir, dans la multitude de détails et de références à la mythologie, l'énorme travail de recherche effectué par Flaubert.
"salammbô" vaut la peine d'être lu pour la grandeur de Carthage, la beauté tragique de la jeune femme qui obsède Mathô, l'amour passionnée des deux amants, le récit épique des combats, mais surtout pour l'écriture fulgurante et lyrique de Gustave Flaubert.
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Citations et extraits (169) Voir plus Ajouter une citation
Ils marchaient dans une sorte de grand couloir, bordé par deux chaînes de monticules rougeâtres, quand une odeur nauséabonde vint les frapper aux narines, et ils crurent voir au haut d’un caroubier quelque chose d’extraordinaire : une tête de lion se dressait au-dessus des feuilles.
Ils y coururent. C’était un lion, attaché à une croix par les quatre membres comme un criminel. Son mufle énorme lui retombait sur la poitrine, et ses deux pattes antérieures, disparaissant à demi sous l’abondance de sa crinière, étaient largement écartées comme les deux ailes d’un oiseau. Ses côtes, une à une, saillissaient sous sa peau tendue ; ses jambes de derrière, clouées l’une contre l’autre, remontaient un peu ; et du sang noir, coulant parmi ses poils, avait amassé des stalactites au bas de sa queue qui pendait toute droite, le long de la croix. Les soldats se divertirent autour ; ils l’appelaient consul et citoyen de Rome et lui jetèrent des cailloux dans les yeux, pour faire envoler les moucherons.
Cent pas plus loin ils en virent deux autres ; puis, tout à coup, parut une longue file de croix supportant des lions. Les uns étaient morts depuis si longtemps qu’il ne restait plus contre le bois que les débris de leurs squelettes ; d’autres à moitié rongés tordaient la gueule en faisant une horrible grimace ; il y en avait d’énormes ; l’arbre de la croix pliait sous eux ; et ils se balançaient au vent, tandis que sur leur tête des bandes de corbeaux tournoyaient dans l’air, sans jamais s’arrêter. Ainsi se vengeaient les paysans carthaginois quand ils avaient pris quelque bête féroce ; ils espéraient par cet exemple terrifier les autres. Les Barbares, cessant de rire, tombèrent dans un long étonnement. « Quel est ce peuple, – pensaient-ils, – qui s’amuse à crucifier des lions ! »
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La lourde tapisserie trembla, et par-dessus la corde qui la supportait, la tête du python apparut. Il descendit lentement, comme une goutte d’eau qui coule le long d’un mur, rampa entre les étoffes épandues, puis, la queue collée contre le sol, il se leva tout droit ; et ses yeux, plus brillants que des escarboucles, se dardaient sur Salammbô.
L’horreur du froid ou une pudeur, peut-être, la fit d’abord hésiter. Mais elle se rappela les ordres de Schahabarim, elle s’avança ; le python se rabattit et lui posant sur la nuque le milieu de son corps, il laissait pendre sa tête et sa queue, comme un collier rompu dont les deux bouts traînent jusqu’à terre. Salammbô l’entoura autour de ses flancs, sous ses bras, entre ses genoux ; puis le prenant à la mâchoire, elle approcha cette petite gueule triangulaire jusqu’au bord de ses dents, et, en fermant à demi les yeux, elle se renversait sous les rayons de la lune. La blanche lumière semblait l’envelopper d’un brouillard d’argent, la forme de ses pas humides brillait sur les dalles, des étoiles palpitaient dans la profondeur de l’eau ; il serrait contre elle ses noirs anneaux tigrés de plaques d’or. Salammbô haletait sous ce poids trop lourd, ses reins pliaient, elle se sentait mourir ; et du bout de sa queue il lui battait la cuisse tout doucement ; puis la musique se taisant, il retomba.
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C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar.

Les soldats qu'il avait commandés en Sicile se donnaient un grand festin pour célébrer le jour anniversaire de la bataille d'Eryx, et comme le maître était absent et qu'ils se trouvaient nombreux, ils mangeaient et ils buvaient en pleine liberté.

Les capitaines, portant des cothurnes de bronze, s'étaient placés dans le chemin du milieu, sous un voile de pourpre à franges d'or, qui s'étendait depuis le mur des écuries jusqu'à la première terrasse du palais ; le commun des soldats était répandu sous les arbres, où l'on distinguait quantité de bâtiments à toit plat, pressoirs, celliers, magasins, boulangeries et arsenaux, avec une cour pour les éléphants, des fosses pour les bêtes féroces, une prison pour les esclaves.

Des figuiers entouraient les cuisines ; un bois de sycomores se prolongeait jusqu'à des masses de verdure, où des grenades resplendissaient parmi les touffes blanches des cotonniers ; des vignes, chargées de grappes, montaient dans le branchage des pins ; un champ de roses s'épanouissait sous des platanes ; de place en place sur des gazons se balançaient des lis ; un sable noir, mêlé à de la poudre de corail, parsemait les sentiers, et, au milieu, l'avenue des cyprès faisait d'un bout à l'autre comme un double colonnade d'obélisques verts.

Le palais, bâti en marbre numidique tacheté de jaune, superposait tout au fond, sur de larges assises, ses quatre étages en terrasses. Avec son grand escalier droit en bois d'ébène, portant aux angles de chaque marche la proue d'une galère vaincue, avec ses portes rouges écartelées d'une croix noire, ses grillages d'airain qui le défendaient en bas des scorpions, et ses treillis de baguettes dorées qui bouchaient en haut ses ouvertures, il semblait aux soldats, dans son opulence farouche, aussi solennel et impénétrable que le visage d'Hamilcar.
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Taanach revint près d'elle ; et quand elle eut disposé deux candélabres dont les lumières brûlaient dans des boules de cristal pleines d'eau, elle teignit de lausonia l'intérieur de ses mains, passa du vermillon sur ses joues, de l'antimoine au bord de ses paupières, et allongea ses sourcils avec un mélange de gomme, de musc, d'ébène et de pattes de mouches écrasées.
(...)
Le soir tombait, des senteurs de baume s'exhalaient. Pendant longtemps, ils se regardèrent en silence – et les yeux de Salammbô, au fond de ses longues draperies, avaient l'air de deux étoiles dans l'ouverture d'un nuage. Avant que le soleil fût couché, il se retira.
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Personne à Carthage, n'était savant comme lui. Dans sa jeunesse, il avait étudié au collège des Mogbeds, à Borsippa, près de Babylone ; puis visité Samothrace, Pessimunte, Ephèse, la Thessalie, la Judée, les temples des Nabathéens, qui sont perdus dans les sables ; et, des cataractes jusqu'à la mer, parcouru à pied les bords du Nil. La face couverte d'un voile, et en secouant des flambeaux, il avait jeté un coq noir sur un feu de sandaraque, devant le poitrail du Sphinx, le Père-de-la-terreur. Il était descendu dans les cavernes de Proserpine ; il avait vu tourner les cinq cents colonnes du labyrinthe de Lemnos, et resplendir le candélabre de Tarente, portant sur sa tige autant de lampadaires qu'il y a de jours dans l'année. La nuit, parfois, il recevait des Grecs pour les interroger. La constitution du monde ne l'inquiétait pas moins que la nature des Dieux ; avec les armilles placés dans le portique d'Alexandrie, il avait observé les équinoxes, et accompagné jusqu'à Cyrène les bématistes d'Evergète, qui mesurent le ciel en calculant le nombre de leurs pas...

NDL : Caliban, je ne termine pas la citation, parce que, justement, elle n'est pas à mon goût. Ce genre de passage plein de savoir, mais surtout non explicité, même si c'est un chef d'oeuvre, ne m'intéresse pas, et fait que je retire encore une étoile à Flaubert. Je suis surtout là pour m'amuser. Je sais, c'est un scandale. Au passage, je vous remercie d'avoir signalé les fautes que j'ai commises dans cette citation. Je les ai corrigées en relisant mon édition/librairie Gründ.
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