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Pierre-Marc de Biasi (Éditeur scientifique)
EAN : 9782253160496
474 pages
Le Livre de Poche (01/07/1999)
  Existe en édition audio
3.78/5   982 notes
Résumé :
"Roman de la médiocrité" selon son auteur, Gustave Flaubert (1821-1880), "Bouvard et Pécuchet" est en fait une réjouissante comédie, où il se moque de son époque à travers les aventures de deux vieux amis qui, se lançant avec enthousiasme dans l'étude de la chimie ou de l'agriculture, de la religion ou de l'amour... aboutissent immanquablement à des fiasco, tant leur stupidité et leur suffisance sont grandes. Cette farce philosophique, cette satire des ridicules de ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (78) Voir plus Ajouter une critique
3,78

sur 982 notes
Si, au lieu de brader "Mme Bovary" à des élèves de 3ème ou de Seconde qui n'y comprennent que peu de choses tant leur expérience personnelle se trouve à dix mille lieues des tourments d'une provinciale mal mariée du XIXème siècle, on leur offrait des "Morceaux choisis" de "Bouvard & Pécuchet", peut-être le malentendu qui s'établit en général très vite entre les élèves et Gustave Flaubert n'existerait-il pas. (Il faudrait, notez bien, que les enseignants y mettent aussi du leur, et voilà qui est plus hasardeux ... )

Car l'oeuvre inachevée de Flaubert est un monument pince-sans-rire dressé à la bêtise monomaniaque élevée au rang de l'art par deux anti-héros dont on se demande bien souvent si leurs excentricités ne vont pas finir par les faire sombrer dans la folie pure et simple.

Pourtant, à bien regarder ce livre extraordinaire, c'est autour de Bouvard et Pécuchet plus que dans leurs agissements personnels que se déploie, dans toute sa gloire, la beaufitude bourgeoise et bien-pensante. Au sein de la province normande où ils sont allés chercher repos et plénitude, nos deux personnages principaux ne sont entourés que d'aigris et d'envieux qui, lorsqu'ils s'aperçoivent de l'originalité des deux compères, s'empressent d'unir leurs efforts pour les blâmer, les décrier et les moquer de toutes les façons possibles et imaginables. Une certaine Mme Brodin ira même jusqu'à attiser la nature très charnelle de Bouvard afin d'obtenir de lui un prix risible pour l'une de ses propriétés qu'elle convoite.

Le monde paysan et ouvrier n'est pas mieux traité par un Flaubert qui, bien que né à Rouen, ne se faisait visiblement aucune illusion quant à l'avidité naturelle de ses compatriotes. Les événements de 1848, les petites et grandes lâchetés des notables sont passés au crible. Avec une lucidité rare et à l'opposé absolu du Hugo des "Misérables", Flaubert campe enfin des enfants de forçat absolument irrécupérables que Bouvard & Pécuchet, en philanthropes aussi émus que naïfs, tentent en vain d'élever hors de la fange où ils sont nés.

Bref, ce livre est d'une cruauté inouïe envers la Nature humaine à laquelle il ne laisse aucune rémission possible. Et malgré tout, devant ce défilé écrit de silhouettes à la Daumier, le lecteur s'amuse de bout en bout, partagé entre les rires que lui inspirent les déconfitures successives des pauvres Bouvard et Pécuchet et la tendresse que, peu à peu, l'originalité foncière de ces deux caractères finit par lui inspirer.

Certes, on ne rit pas aux éclats - quoique, parfois ... Et l'on est ici bien plus proche de l'humour anglais que des éclats rabelaisiens. N'empêche : ce roman se lit sans efforts en une seule journée et, quand on le referme, on se demande si, finalement, dans sa jeunesse, on n'est pas passé à côté du vrai Gustave Flaubert.

A lire absolument. ;o)
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Quelle surprise de découvrir, à travers les mésaventures de deux apprentis tout et n'importe quoi, un Flaubert dans la peau de l'homme en colère contre ses contemporains.
Bouvard et Pécuchet nous refont l'Encyclopédie à l'envers : agriculture, religion, histoire, archéologie, tout y passe et rien ne résiste, pas une certitude, pas une opinion, pas même un livre, tous bons à jeter.
Un roman vraiment étonnant, faramineux projet inachevé, qui par le biais d'une bouffonnerie grinçante détricote les bienfaits de l'instruction et fait le procès d'une époque pontifiante.
Mais finalement, sont-ils si bêtes nos deux zozos, avec tout ce qu'ils ont appris et désappris ?
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Interrompue en raison du décès subit de Flaubert, Bouvard et Pécuchet fut sans aucun doute l'entreprise littéraire la plus ambitieuse menée par l'écrivain, la plus radicale et obsédante, la plus incertaine aussi. Un projet que lui-même qualifierait à plusieurs reprises de totalement insensé, mais qui se révélerait pourtant fondamental pour son oeuvre : peut-être enfin le livre tant rêvé, portant «sur rien», celui qu'il avait toujours espéré pouvoir écrire un jour..?

«Du reste - avoue-t-il ainsi, entre autres à George Sand dans une lettre datant de 1874- il faut être absolument fol pour entreprendre un pareil livre. J'ai peur qu'il ne soit, par sa conception même, radicalement impossible. Nous verrons. Ah, si je le menais à bien…quel rêve ! »

Du reste aussi, après coup, renversé à son tour par ce mouton à cinq pattes, ou sans pattes si l'on préfère, le lecteur pourrait avoir envie de faire siennes les paroles du grand Gustave : il faut également être un peu cinglé pour se lancer dans la lecture de ce curieux roman qui résiste toujours sauvagement à se laisser catégoriser et à livrer toutes ses clés !

Un ouvrage très, pour ne pas dire trop touffu, farci pratiquement à chacune de ses pages d'un réseau de références de toutes sortes et dans tous les sens, mais paradoxalement d'une constitution assez chétive en tant que fiction, dégraissé jusqu'à l'os, dépourvu quasiment d'intrigue. Reproduisant invariablement le même scénario, énumératif et cyclique, au risque de paraître à la longue quelque peu rébarbatif. Doté de surcroît d'un narrateur qui ne semble pas très enclin à s'investir dans les nobles charges qui incombent d'habitude à ce dernier, se laissant confondre trop souvent aux personnages eux-mêmes, brillant surtout par son in-signifiance et par son «in-science» à lui!
Mais quel culot, Monsieur Flaubarre...!!

Livré en l'état, inachevé, un an après la disparition de son auteur, accueilli à sa sortie par une immense consternation générale, aussi bien de la part des lecteurs que des critiques, unanimement (exception faite à Maupassant qui était immédiatement venu à la rescousse de son ami dans un article publié dans le Gaulois du 6 avril 1881), l'esprit de feu l'écrivain, là-haut, devait quant à lui probablement s'amuser des réactions très majoritairement hostiles à son ouvrage posthume, qu'il avait pressenties et dont il se s'était bien prémuni déjà de son vivant!!
N'avait-il pas laissé entendre, entre autres, que son but en l'écrivant était de pouvoir surtout «cracher le dégout qu'inspirait la bêtise de ses contemporains » ?

Assez engageant, donc, sur le plan intellectuel par le nombre faramineux de domaines et de savoirs qu'il convoquera, surtout par touches et avec force ellipses qui n'arrangeront pas les affaires d'un lecteur quelque peu scrupuleux, dérisoire en même temps par le bêtisier digne d'un almanach à gros tirage dans lequel ces derniers finiront systématiquement par se dissoudre, gravement risible en surface et drôlement grave au fond, acerbe critique dénonçant l'arrogance de la pensée positive-scientiste et les travers de la société française à l'époque tumultueuse de la Restauration et des débuts de la Seconde République sous son aspect de pantalonnade aux traits grossis, caricaturaux, Bouvard et Pécuchet ne se laissera pas facilement apprivoiser par un lecteur amusé au départ, puis, au fur et à mesure, de plus en plus interloqué, probablement un peu dépassé, lassé par moment par son caractère répétitif, très impressionné cependant, jusqu'au bout, par le côté surdimensionné, encyclopédique, par ce gigantesque chapiteau savant dressé par Flaubert à la seule fin d'encadrer les tribulations burlesques de ses deux dilettantes clowns chercheurs !
L'on ne peut en réalité qu'être admiratif face à l'appétit cyclopéen dont a dû faire preuve l'écrivain, à sa constance à engraisser des années durant cet ornithorynque boulimique de savoirs et de savoir-faire les plus divers. On peut l'imaginer avançant parfois péniblement, voire à l'aveugle, hésitant, traversant, comme il nous l'apprend à travers sa correspondance, des périodes de grande lassitude et découragement, se demandant si le jeu valait bien la chandelle…
Flaubert aurait en effet consulté quelques 1 500 ouvrages différents en vue de son livre, balayant quasiment tous les domaines et toute la somme disponible de connaissances de son époque, depuis l'alpha de l'«agriculture», jusqu'à l'oméga de la «zoologie», en passant par la chimie, la physiologie, l'astronomie, la géologie, l'archéologie, l'histoire, la littérature, la magie, la religion, la philosophie, la pédagogie, la politique…et on en passe !!

Quant à la précision et à la concision légendaires de son style, il semble y avoir veillé plus que jamais à en écarter tout ornement dispensable, toute fioriture discursive, tout artifice romantico-romanesque, le ramenant pour ainsi dire au rez-de-chaussée de son propos parodique et tranchant!
Peu soucieux par ailleurs de développer plus en détail une déjà au départ assez maigre trame, d'y apporter des éléments supplémentaires de contextualisation des évènements, des situations, des motivations ou de la psychologie à peine esquissée de ses personnages (jamais, en tout cas, au-delà du strictement nécessaire aux enjeux narratifs de chaque épisode), suivant par ailleurs un schéma qui se répétera donc aussi de façon absolument identique de chapitre en chapitre, (intérêt éveillé par un savoir, des idées, un domaine de compétences/ lectures, mise en pratique/ échec, désintérêt ), on peut au bout d'un moment trouver que Flaubert exagère quand-même à insister de la sorte à faire du surplace, à ne rajouter que le minimum au minimum, de l'inachevé à de l'inachevable… Et se dire que tout bien considéré, le livre risque, à l'instar des désastreuses expériences de ses héros, de n'aboutir qu'à tourner et tourner en rond…!!!

Strictement parlant, Bouvard et Pécuchet ressemblerait alors, aux yeux du lecteur et en tant que roman, à ces énormes gâteaux qui s'avèrent remplis d'air une fois qu'on mord dedans! Dit autrement, en matière d'imaginaire fictionnel et de roman au sens propre, l'on risque sérieusement de rester sur sa faim.

«Bouvard et Pécuchet m'emplissent à un tel point que je suis devenu eux, leur bêtise est mienne et j'en crève» ( Correspondance de Flaubert– Lettre à Edma Roger des Genettes)

Bien sûr, nous aussi, s'il y a quelque chose que nous avons bien compris à propos de votre énigmatique roman, c'est que la bêtise de Bouvard et Pécuchet, c'est aussi la nôtre ! Que Bouvard et Pécuchet, c'est nous !

Mais alors, serait-il impossible de l'appréhender autrement, sans se retrouver forcément dans la même position que ces deux personnages en quête d'un auteur, ce jusqu'à se faufiler dans l'esprit de ces derniers, ou dans celle d'un auteur pas prêt non plus à faire des concessions, cherchant avant tout à «cracher sur la bêtise» de ses congénères ? Devant l'échec de la raison théorique et pratique, de l'inutilité de toute démarche cumulative de savoirs? Sans autre distraction possible que celle d'en dresser interminablement le bêtisier !?

Bêtise des bêtises, tout ne serait que bêtises ?!

Ne vaudrait-il mieux pas dans ce cas approcher ici (exceptionnellement) l'auteur plutôt comme un cousin éloigné de Lewis Carroll, ou, pourquoi pas, comme un oncle putatif d'un Franz Kafka encore à venir…?

Quoi ??? Flaubert, le réaliste, en précurseur malgré lui de l'absurde ? Quel contresens, direz-vous!
J'en conviens, oui, dit comme ça, ça a l'air pas mal farfelu...!

Et pourtant, à force de vouloir décortiquer la réalité, que trouve-t-on derrière celle-ci ?
Ce n'est pas là, en définitive , ce que chercherait à faire l'auteur par rapport aux savoirs et à la mentalité de son époque? Mettre à jour une absurde fatuité ?

Et pourtant, du côté de ses créatures aussi, à force de tourner en rond et d'espérer qu'un savoir soit susceptible d'ordonner et donner un sens à la vacuité de leur existence, nos deux naïfs copistes - qu'on pourrait d'ailleurs rajouter au passage à la liste de ces couples légendaires masculins (Quichotte et Pança, Holmes et Watson, Laurel et Hardy, Dupont et Dupont…) renversant par leur seule présence déjà la logique ordinaire des choses- ne ressembleraient-ils d'une certaine manière à cet autre duo célèbre de clowns sur une route quelques décennies plus tard attendant en vain leur maître-(mot)...?

Enfin, en cherchant à fuir la banalité de leur quotidien à Paris dans leur trou enchanté de Chavignolles (ah, toujours la Normandie…), délivrés enfin des contraintes imposées par les besoins matériels de la vie grâce à l'héritage inespéré touché par Bouvard, notre paire d'ingénus ne s'embarque-t-elle dans une sorte d'aventure au pays des merveilles de la connaissance tournant bientôt au cauchemar ?

Personnellement, en tout cas, ce serait bien par un effet de «nonsense», tant sur le fond que par la forme et la construction même du roman, ces dernières sans doute encore trop «bizarres» en 1880, que j'aurai pu éviter la consternation ou un certain ennui qui, tout de même, j'avoue, commençaient plus d'un siècle après à pointer aussi dans mon esprit…

Quoi qu'il en soit, Bouvard et Pécuchet est un roman qui ne pourrait peut-être pas se contenter d'une simple lecture en tant que «satire philosophique» classique. Un drôle de «classique», d'ailleurs, qui, selon les mots très judicieux d'un de ses nombreux commentateurs, serait toujours, encore de nos jours, «en quête de ses lecteurs»!

Bref, pour ce qui me concerne, quand j'ai enfin cessé de chercher à tout prix à comprendre où l'auteur voulait en venir au juste, j'ai commencé à vraiment l'apprécier!

Car si l'oeuf se casse, on ne peut plus du tout le recoller, n'est-ce pas ? Quoi qu'on en fasse, on n'arrivera plus à le faire tenir ensemble à nouveau! Au lieu d'insister en vain, ou de philosopher là-dessus (de préférence en allemand…), ne vaudrait-il mieux pas s'en faire une comptine, et s'amuser ?

Dommage vraiment que Flaubert n'ait pas eu le temps de s'atteler au second volume de leurs aventures. Il paraît que Buvard et Perroquet devraient s'y livrer à coeur joie à cette dernière tâche..!


...
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Flaubert, c'est nous. Et moi c'est ma millième critique.
Hasard? Voies impénétrables de la littérature ? Densité de probabilité égale à un sur l'intervalle de ma présence sur Babelio ?
Quoi qu'il en soit, je ne vais bien sûr pas analyser le duo scientifiquement comique constitué de messieurs Bouvard et Pécuchet, de savants littérateurs l'ont fait avant moi, et bien mieux sans aucun doute.
Je vais juste faire part du plaisir qu'il peut y avoir à lire Gustave Flaubert, même lorsqu'il s'agit d'une oeuvre inachevée (je me suis arrêté au dernier signe de l'auteur).
Et ajouter qu'au fil de ma lecture, j'ai éprouvé de l'empathie pour ces deux bougres touche-à-tout de la science. Alors que je me suis pris à les moquer en début d'ouvrage, ma perception de leurs mésaventures largement rocambolesques a lentement évolué. Leurs échecs successifs, les avanies auxquelles ils se prêtent malgré eux me les ont rendus presque sympathiques à mesure que l'univers, les croyances, les personnages autour d'eux m'apparaissaient plus médiocres, plus méprisables.
Dans leur quête brouillonne et empirique de connaissance, ils touchent quelque chose de profondément enfoui en nous, que la littérature est capable de faire vibrer comme un chant venu du fond des âges témoignant de notre apprentissage du monde.
Merci monsieur Flaubert.

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Il est inutile d'apprendre : la connaissance ne s'acquiert ni dans les livres, ni ailleurs. Il est inutile de lire, à moins de vouloir se rendre fou, pédant ou désespéré. Il est inutile d'écrire, à moins de vouloir contaminer le reste du monde des relents dégénérés de son individu. Et pour le prouver, Flaubert nous livre une démonstration par l'absurde : non seulement il apprendra en se gorgeant de toutes les connaissances mémorisées jusqu'à son époque, mais en plus il tirera cet enseignement de ses pires ennemis les livres, après quoi il vomira cette mélasse d'enseignements par la plume, participant ainsi au massacre qu'il souhaite mettre en évidence.


Flaubert met en scène Bouvard et Pécuchet, deux pauvres bougres qui n'ont pas sa lucidité. Employés dactylographes menant une vie ordinaire, leur existence se met seulement à dévier lorsqu'ils tombent l'un sur l'autre. de leur fréquentation mutuelle, une troisième volonté surgira : celle qui aspire à un au-delà libéré des contraintes financières et de la monotonie professionnelle. le destin aidant, Bouvard et Pécuchet trouvent finalement le moyen de se retirer à la campagne. Enfin, la belle vie ? Certes, mais… tout comme Emma Bovary, les deux anciens secrétaires ne parviennent jamais à l'entière satisfaction. Il manque quelque chose à leur épanouissement, sans qu'ils ne sachent précisément le nommer. L'ennui est là, qui guette le moindre fléchissement de leur humeur.


Pour détourner leur attention de cette menace, Bouvard et Pécuchet se lancent dans l'étude. Se projetant corps et âme dans une discipline après l'autre –biologie, géologie, philosophie, littérature, religion, psychologie, médecine, au choix…-, ils en aspirent toute la moelle avec un appétit de charognard, ne relevant la tête que lorsqu'il n'en reste plus rien, et découvrant alors le peu de consistance de la matière absorbée. Les sciences ne sont qu'un moyen, que Bouvard et Pécuchet dévorent pour atteindre une fin qu'ils ne connaissent pas. Les querelles idéologiques qu'ils se livrent ne sont que des divertissements, espérant peut-être aviver assez de foi en eux pour leur conférer une identité qu'ils ne maîtrisent pas.


Flaubert ne peut être comparé à ses personnages : il se situe bien au-delà d'eux et il les a surpassés depuis longtemps. Passant peut-être, comme eux, par les phases de la satisfaction, de l'ostentation, de la déception puis du désespoir, il n'a pas sombré à leur manière dans la résignation mais s'est gorgé d'une lucidité rageuse qui exacerbe son ironie et son dégoût. le roman qu'il écrit pour rendre ses lecteurs aussi abattus que lui constitue une étrange mise en abyme : avant de l'écrire, Flaubert se sera infligé la lecture de centaines d'ouvrages scientifiques, en relevant toutes les incongruités (et nous livrant ainsi un Dictionnaire des idées reçues et un Sottisier truculents), et en résumant les grandes idées qu'il fait ensuite tenir à Bouvard et Pécuchet. Les références abondent en tous sens, les théories se contredisent les unes les autres, les idéologies s'affrontent dans des querelles dont la multiplication appauvrit l'intérêt, et tout l'édifice culturel s'effondre devant le constat d'une absurdité insolvable. Et si encore on s'amusait… mais non, même pas. Bouvard et Pécuchet, malgré quelques traces d'ironie cinglante et bouffonne (« Afin de produire artificiellement des digestions, ils tassèrent de la viande dans une fiole, où était le suc gastrique d'un canard –et ils la portèrent sous leurs aisselles durant quinze jours, sans autre résultat que d'infecter leurs personnes »), se lit dans la torpeur et l'ennui.


Le travail de sape est réussi… ou presque. Malgré tout le dégoût qu'on suppose être à la base de l'écriture de ce roman, le lecteur ne pourra être totalement contaminé par l'abattement originel de Flaubert car, en détruisant l'objet de ses espoirs et de ses désillusions, celui-ci parvient enfin à trouver du plaisir là où les théories scientifiques n'ont su lui inspirer que du découragement. Sapant de bon coeur un édifice culturel fondé sur des sables mouvants, la rage triste de Flaubert devient rage joyeuse, et réussit parfois à nous tirer un sourire et même un soupçon de plaisir au milieu de notre ennui…

Lien : http://colimasson.over-blog...
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critiques presse (1)
LeFigaro
17 mai 2021
La publication des deux derniers tomes des «Œuvres complètes» de Gustave Flaubert en Pléiade est l’occasion de constater que Bouvard et Pécuchet sont toujours bien vivants.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (144) Voir plus Ajouter une citation
D'abord qu'est-ce que le Beau? Pour Schelling c'est l'infini s'exprimant par le fini, pour Reid une qualité occulte, pour Jouffroy un trait indécomposable, pour De Maistre ce qui plait à la vertu; pour le P. André, ce qui convient à la Raison.
Et il existe plusieurs sortes de Beau : un beau dans les sciences, la géométrie est belle, un beau dans les mœurs, on ne peut nier que la mort de Socrate ne soit belle. Un beau dans le règne animal. La Beauté du chien consiste dans son odorat. Un cochon ne saurait être beau, vu ses habitudes
immondes; un serpent non plus, car il éveille en nous des idées de bassesse. Les fleurs, les papillons, les oiseaux peuvent être beaux. Enfin la condition première du Beau, C'est l'unité dans la variété, voilà le principe.
- « Cependant » dit Bouvard « deux yeux louches sont plus variés que deux yeux droits et produisent moins bon effet, – ordinairement. »
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Toutes les viandes ont des inconvénients. Le boudin et la charcuterie, le hareng saur, le homard, et le gibier sont « réfractaires ». Plus un poisson est gros plus il contient de gélatine et par conséquent est lourd. Les légumes causent des aigreurs, le macaroni donne des rêves, les fromages « considérés généralement, sont d’une digestion difficile ». Un verre d’eau le matin est « dangereux » ; chaque boisson ou comestible étant suivi d’un avertissement pareil, ou bien de ces mots : « mauvais ! – gardez-vous de l’abus ! –ne convient pas à tout le monde. » - Pourquoi mauvais ? où est l’abus ? comment savoir si telle chose vous convient ?
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Une excellente habitude c’est d’envisager les choses comme autant de symboles. Si le tonnerre gronde, figurez-vous le jugement dernier ; devant un ciel sans nuages, pensez au séjour des bienheureux ; dites-vous dans vos promenades que chaque pas vous rapproche de la mort. Pécuchet observa cette méthode. Quand il prenait ses habits il songeait à l’enveloppe charnelle dont la seconde personne de la Trinité s’est revêtue. Le tic-tac de l’horloge lui rappelait les battements de son cœur, une piqûre d’épingle les clous de la croix. Mais il eut beau se tenir à genoux pendant des heures, et multiplier les jeûnes, et se pressurer l’imagination, le détachement de soi-même ne se faisait pas ; impossible d’atteindre à la contemplation parfaite !
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En effet, où il y a des menhirs, un culte obscène a persisté. Témoin ce qui se faisait à Guérande, à Chichebouche, au Croisic, à Livarot. Anciennement, les tours, les pyramides, les cierges, les bornes des routes et même les arbres avaient la signification de phallus –et pour Bouvard et Pécuchet, tout devint phallus. Ils recueillirent des palonniers de voiture, des jambes de fauteuil, des verrous de cave, des pilons de pharmacien. Quand on venait les voir, ils demandaient : « A qui trouvez-vous que cela ressemble ? » puis, confiaient le mystère –et si l’on se récriait, ils levaient, de pitié, les épaules.
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Quelle merveille que de retrouver chez les êtres vivants les mêmes substances qui composent les minéraux. Néanmoins, ils éprouvaient une sorte d’humiliation à l’idée que leur individu contenait du phosphore comme les allumettes, de l’albumine comme les blancs d’œufs, du gaz hydrogène comme les réverbères.
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Et si l'une des meilleures façons de plonger dans l'oeuvre d'un classique était de contourner momentanément ses romans pour découvrir sa correspondance, c'est-à-dire l'homme derrière la statue, l'homme mis à nu ?
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Fumichon, concernant la propriété, évoque les arguments d'un homme politique dont Flaubert parle en ces terme dans une lettre à George Sand: "Peut-on voir un plus triomphant imbécile, un croûtard plus abject, un plus étroniforme bourgeois! Non! Rien ne peut donner l'idée du vomissement que m'inspire ce vieux melon diplomatique, arrondissant sa bêtise sur le fumier de la Bourgeoisie!". De qui s'agit-il?

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