(p.163)
Marc Bloch m'a donné une dernière image de 1938 : une année où tout est fait pour convaincre les Français qu'ils vivent désormais, et pour longtemps, post-festum. Cette année-là, je n'ai rien vu qui, de près ou de loin, ressemble à une fête. L'impératif obsédant de "remettre la France au travail" a écrasé les imaginaires qui associent la politique à une forme quelconque de bonheur. Le travail pour le travail, la nation pour la nation, le budget pour le budget ou la France pour la France sont des formules si abstraitement creuses, et profitables à un si petit nombre, qu'elles n'entrent dans la tête des hommes que par la peur.
(p.161)
Le passage de L'Étrange Défaite [livre de Marc Bloch] qui m'a le plus éclairé sur ma rencontre avec 1938 suit le plus célèbre du livre. Bloch écrit : "Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l'histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération." Jusque-là, c'est un rappel assez attendu de l'unité historique de la France en dépit de la rupture instaurée par la Révolution de 1789. Le sacre de Reims et la fête de la Fédération désignent des symboles auxquels Bloch juge que les Français par-delà leurs clivages idéologiques, devraient être également sensibles. Rien que de très légitime sous la plume d'un historien du Moyen Âge.