La fille mord le chiffon que la Brodeuse a mis entre ses dents ; sous la douleur, son corps s'arc-boute.
- Si tu hurles, l'enfant aura peur, il ne voudra pas sortir !
Oh la souffrance muette... Longue, interminable.
Ne te réjouis pas trop vite, Saigneur...
Tu te crois invincible, mais mes crocs sont acérés.
-Joue, le Musicien ! crie la Gitane, en secouant ses anneaux d'or, les mains levées vers le ciel. Joue, joue ! Tu me donnes la rage de vivre et de danser.
- Te voilà avec une soeur... dit Gallou à l'enfant, en les contemplant. C'est vrai qu'elles se ressemblent, la fillette et la renarde...
Même pelage roux, même regard noir, même sauvagerie.
Le soir, elles dorment ensemble. Le jour, elles jouent.
Inséparables.
Une mélodie suave, si douce... Tous s'arrêtent pour l'écouter.
Même les oiseaux, si bavards, suspendent leur chant.
Ému, le Musicien murmure:
- Ma vielle, c'est une enclume, à côté.
- Mais non, dit la Harpiste, en caressant ses cordes. Ma harpe est l'écho de mon âme... La vielle, celle de ton cœur tumultueux.
Chagrin d'amour éblouit la vie.
Nature les fait sorcières :
c’est le génie propre à la femme.
Elle s’ingénie, imagine,
enfante des songes et des dieux.
Voyante à certains jours,
elle a l’aile infinie du désir
et du rêve.
Jules Michelet, La sorcière, 1862