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Citations sur September September (3)

Il fallait quelqu’un de riche ayant un enfant assez jeune pour ne pas présenter les inconvénients d’un adulte. Hélas, il ne tarda pas à se rendre compte qu’il n’existait personne de ce genre. Les Noirs vraiment riches étaient trop âgés pour avoir de jeunes enfants. Il pensa, après réflexion, aux petits-enfants, ce qui lui posa à nouveau un problème. Nombre de Noirs fortunés avaient une telle ribambelle de petits-enfants que jusqu’à un certain point cela en diminuait la valeur. On ne fait pas autant de cas d’un petit-fils ou d’une petite-fille s’ils ont une douzaine de frères et sœurs et de cousins en réserve. C’est alors qu’épluchant les journaux et faisant parler les gens, il tomba sur Theo G. Wiggins auquel il aurait dû penser dès le début. Wiggins n’avait qu’un enfant, une fille mariée qui elle-même avait un fils et une fille respectivement âgés de huit et six ans. Le garçon était 1
Survinrent trois cavaliers
C’était une triste époque à bien des points de vue, les uns compréhensibles, les autres pas. Nous avions à la Maison-Blanche un grand pantin, commandant en chef de tous les combattants de la guerre froide, et les Russes étaient en train de concocter un engin qu’ils enverraient, un mois plus tard, en plein ciel, des steppes poussiéreuses du Kazakhstan. Par ce beau et chaud mercredi du début de septembre, il y a vingt ans de cela, les journaux du matin relayaient en détail les nouvelles de Little Rock, où Orval Faubus s’était enfin décidé à sauter le pas. S’étalant sur quatre colonnes, la manchette, en caractères si grands et si gras qu’ils semblaient crier, surmontait une publicité en pleine page annonçant le jour J pour l’Edsel, que l’on pourrait bientôt voir partout dans les show-rooms des concessionnaires. « Quel vieux débris ! » fit Podjo installé à l’arrière, le Commercial Appeal étalé sur ses cuisses tel un plaid hors de saison. Il parlait de Faubus et non de l’Edsel, mais il devait découvrir par la suite que cela s’appliquait aussi bien à l’un qu’à l’autre.

Ils étaient trois dans la vieille Ford, qui, partis du Delta, remontaient vers le nord sur l’autoroute 61. Le soleil avait d’abord frappé à l’arrière, puis sur leur gauche, par-dessus le fleuve que l’on apercevait parfois au-delà d’une levée. De Bristol à la frontière du Tennessee, il y avait environ deux cents kilomètres de route et de terres cultivées à demi inondées, aux sillons argentés par l’eau qui y stagnait, plats comme la main jusqu’à ce que la voiture attaque la crête de Chickasaw, là où les champs de coton, de maïs et de haricots s’arrêtaient, et Memphis apparaissait. Podjo Harris, qui allait sur ses quarante et un ans, était un type d’aspect robuste, aux cheveux, aux yeux et à l’épaisse moustache noirs, au menton nu comme un talon, au nez imposant. À l’avant, un garçon de vingt-sept ans, Rufus Hutton, et une femme qui pouvait en avoir trente-cinq, Reeny Perdew. Mince et blond, Rufus portait ses cheveux coiffés en queue de canard. Sa bouche était molle, et ses yeux du bleu très pâle des violettes papilionacées, emblème des confédérés. Il conduisait avec nonchalance et prenait les tournants avec une parfaite aisance, à croire que l’extrémité de la colonne de direction baignait dans l’huile.

« Ouais, fit-il en réponse à l’allusion de Podjo au gouverneur de l’État tout proche. Quel vieux débris. Mais n’oublie pas qu’il va dans notre sens. » Et, changeant brusquement de sujet comme il en avait l’habitude : « Quelle année ! Bon Dieu, j’ai lu ça hier dans le Scimitar. Rien qu’au mois d’août, il est tombé plus de huit centimètres de pluie, ce qui nous donne à ce jour un mètre trente d’eau. Les huit mois les plus pluvieux du siècle, sans compter les larmes des cultivateurs, et c’est pas fini. Mais après tout, on s’en fout. On ne vient pas ici pour jouer les cultivateurs. »

Il ricana, engloba d’un même regard Reeny, puis Podjo, et changea à nouveau de sujet tandis que la Ford attaquait la côte.

« C’est le genre de paysage que j’espérais ne jamais revoir, même en rêve. La Corée et ses foutus bridés dans leurs vêtements molletonnés, surgissant du flanc de la colline pour nous attaquer dans la nuit, sonnant de la cloche et du bugle et gueulant : “À moi les Amélicains !” Qu’est-ce qu’on en a massacré ! Et pour toi, comment ça se passait ?

— Je sais pas trop quoi te dire, fit Podjo toujours plongé dans la lecture du Commercial. Ma guerre à moi c’était tout autre chose. Je crevais de peur au point que j’osais pas lever la tête de la boue. Tout ce que je me rappelle de l’Europe, c’est la pluie qui tambourinait comme sur un toit de tôle. Et toujours le bord de mon casque pour servir de cadre au décor.

— Nous, on se servait des casques pour faire chauffer notre tambouille. Tu sais comme ils sont, les marines.

— Non, ils sont comment ? » fit Rufus qui, comprenant que l’autre plaisantait, se hâta d’ajouter : « Semper fi1, hein ? » avant de reporter toute son attention sur la route.

Comme ils atteignaient le sommet de la première colline, ils virent sur leur gauche ce qu’il restait d’un relais routier, dont le toit pentu était pour moitié calciné, pour moitié effondré.

« Regardez ! s’exclama Reeny, sortant de sa rêverie boudeuse. Non, mais visez-moi cette baraque ! Dire qu’on venait y danser et s’envoyer en l’air ! »

Derrière les ruines incendiées et envahies par les mauvaises herbes du bâtiment principal s’alignaient une douzaine de cabanes également dévastées. Un motel, comme on disait en ce temps-là. En réalité de minuscules cellules au plancher recouvert de linoléum, étouffantes en été, glaciales en hiver, au point de congeler la buée qui vous sortait de la bouche. Chacune était munie d’un coin douche en tôle, d’un chiotte récalcitrant, d’un lavabo étriqué, d’une chaise et d’un lit à deux places aux draps mal repassés, à la couverture de coton et au couvre-pieds de chenille bleue ou rouge qui, rétréci par de trop nombreux lavages, atteignait à peine le bord du misérable matelas.

« Autant en emporte le vent, fit Rufus alors que le motel en ruine disparaissait à leur vue. Dieu qu’il faisait bon être jeune ! Chaque fois que je passais devant un de ces motels, j’avais la trique en évoquant toutes les filles chaudes comme la braise que j’y emmenais. Mais cela ne me prendrait pas devant celui-là, cramé comme il est, avec ses herbes folles qui sortent par les portes et par les fenêtres. Bon Dieu, que c’est triste, tout ça ! »

Reeny sembla partager son point de vue. Elle retomba dans une de ses songeries, que le passé y fût ou non pour quelque chose.

Podjo l’observa par-dessus son journal. Grande, les jambes longues, des seins fermes et haut placés qui commençaient probablement à s’affaisser. Les pieds nus dans des baskets, elle portait un sweater et une jupe. Ses cheveux, d’un châtain si clair qu’ils pouvaient passer pour blonds, retenus par un bandeau élastique et aux pointes recourbées vers l’intérieur, effleuraient tout juste ses épaules. Sa grande bouche aux lèvres plutôt minces, ses yeux d’un bleu de myrtille si foncé que, sauf en pleine lumière, ils paraissaient noirs, étaient ce qu’elle avait de mieux, mais son nez légèrement de travers et un tout petit peu trop long, aux narines exagérément dilatées, nuisait à l’ensemble. En la rencontrant pour la première fois quinze jours plus tôt, Podjo l’avait prise pour une pute. Pas une fille de bordel, plutôt une call-girl. Mais peut-être l’avait-il jugée ainsi parce qu’il connaissait les goûts de Rufus. Depuis, il avait révisé son jugement, sinon pour le passé du moins pour le présent. Sensation ou imagination, dans l’espace confiné de la voiture il se dégageait d’elle une odeur de femelle, une odeur de lit. Podjo se reprocha de se laisser aller, comme quinze jours plus tôt, à de telles pensées.

Sa mélancolie, si l’on pouvait qualifier ainsi son état d’esprit, avait commencé à une dizaine de kilomètres de Bristol, avant la ligne de démarcation du comté de Jordan, lorsqu’ils étaient passés devant un de ces tertres, ou tumulus, au sommet tronqué qu’élevaient autrefois les Indiens.

« J’ai toujours eu envie de grimper sur ce tertre, avait-elle dit, et pour finir je ne l’ai jamais fait.

— Tu veux l’escalader maintenant ? avait demandé Rufus qui ralentissait, prêt à s’arrêter.

— Non, avait-elle répondu en secouant la tête. J’aurais dû le faire bien avant. »

Elle sombra alors dans sa première crise de mélancolie boudeuse, commune, s’était dit Podjo, à toutes les femmes qui se collent avec un homme plus jeune qu’elles. Or Rufus était au moins de six ans son cadet, si ce n’est plus.

Ils continuèrent donc de rouler à bonne allure, le moteur semblant heureux de se retrouver en terrain plat et de ne plus avoir à lutter contre la pente, ni à heurter un ponceau, vestige de l’époque où les ruisseaux et les bayous se jetaient dans le fleuve avant que la route soit construite. Ils virent approcher la frontière de l’État et un peu avant, sur leur gauche, une sorte de bazar à large galerie et avant-toit parsemé d’affichettes clouées où l’on avait écrit à la main : Pistolets, Fusils, Munitions, Feux d’artifice. Dernière occasion. Un peu plus loin, de l’autre côté de la route, un large écriteau qui se présentait de dos annonçait la ligne de démarcation. Rufus se retourna pour lire à haute voix les mots qui se détachaient en blanc sur fond vert : Mississippi. Bienvenue dans l’État du Magnolia.

« Ce cher vieux Missi Pissy, dit-il, où les hommes sont des hommes et où les femmes aiment ça. »

Reeny se mit à rire comme la voiture s’engageait sur le pont de Nonconnah aux hautes arches, et que leur apparaissaient dans le lointain, comme à un lever de rideau, Memphis et ses hôtels disséminés dans la ville, Chiska, Gayoso, Peabody, Claridge, qui offraient toutes les nuances de la brique, et le Sterick Building, haut, élancé, de la blancheur étincelante d’une pierre tombale sous le soleil. Elle alluma la radio juste à temps pour entendre le présentateur annoncer d’une voix
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– la Reconstruction, qu’ils l’ont appelée. Les Noirs, appuyés par l’armée yankee et par le gouvernement, ont obtenu tout ce qu’ils demandaient. Et aussi ce qu’ils ne demandaient pas. Et tu veux que je te dise ce que ça leur a rapporté ? Rien que du mauvais. Jamais les nôtres n’avaient été aussi maltraités, aussi méprisés, aussi pourchassés. Avant cette époque-là, un Noir qui faisait son chemin jouissait d’une liberté, d’une estime, d’un respect dont ces fauteurs de troubles n’ont même pas idée. Et qu’est-ce qui nous attend maintenant, alors que ça commençait à aller mieux ? Tu veux que je te le dise ? La fureur, la haine des Blancs dans le pays tout entier et je parle pas seulement des Klans enveloppés dans leurs draps de lit, ces salauds qui nous rouent de coups, qui nous lynchent, mais aussi de ceux qui tiennent les cordons de la bourse et qui nous en faisaient profiter. Ouais, ils se débrouillent si bien, ces crétins, que bientôt on pourra même plus traiter des affaires avec des hommes comme M. Crump, des gens de la ville qui nous connaissent et qui nous respectent assez pour nous permettre de récolter le fruit de nos efforts. Tu verras si ça ne se passe pas comme je te le dis. C’est aussi sûr que deux et deux font quatre, qu’ils obtiennent ce qu’ils veulent, ou qu’ils ne l’obtiennent pas. Parce que gagner ou perdre, c’est du pareil au même, quand t’as déjà un handicap qui fait que tu pars perdant même si tu gagnes. »
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C’était une triste époque à bien des points de vue, les uns compréhensibles, les autres pas. Nous avions à la Maison-Blanche un grand pantin, commandant en chef de tous les combattants de la guerre froide, et les Russes étaient en train de concocter un engin qu’ils enverraient, un mois plus tard, en plein ciel, des steppes poussiéreuses du Kazakhstan. Par ce beau et chaud mercredi du début de septembre, il y a vingt ans de cela, les journaux du matin relayaient en détail les nouvelles de Little Rock, où Orval Faubus s’était enfin décidé à sauter le pas. S’étalant sur quatre colonnes, la manchette, en caractères si grands et si gras qu’ils semblaient crier, surmontait une publicité en pleine page annonçant le jour J pour l’Edsel, que l’on pourrait bientôt voir partout dans les show-rooms des concessionnaires. « Quel vieux débris ! » fit Podjo installé à l’arrière, le Commercial Appeal étalé sur ses cuisses tel un plaid hors de saison. Il parlait de Faubus et non de l’Edsel, mais il devait découvrir par la suite que cela s’appliquait aussi bien à l’un qu’à l’autre.

Ils étaient trois dans la vieille Ford, qui, partis du Delta, remontaient vers le nord sur l’autoroute 61. Le soleil avait d’abord frappé à l’arrière, puis sur leur gauche, par-dessus le fleuve que l’on apercevait parfois au-delà d’une levée. De Bristol à la frontière du Tennessee, il y avait environ deux cents kilomètres de route et de terres cultivées à demi inondées, aux sillons argentés par l’eau qui y stagnait, plats comme la main jusqu’à ce que la voiture attaque la crête de Chickasaw, là où les champs de coton, de maïs et de haricots s’arrêtaient, et Memphis apparaissait. Podjo Harris, qui allait sur ses quarante et un ans, était un type d’aspect robuste, aux cheveux, aux yeux et à l’épaisse moustache noirs, au menton nu comme un talon, au nez imposant. À l’avant, un garçon de vingt-sept ans, Rufus Hutton, et une femme qui pouvait en avoir trente-cinq, Reeny Perdew. Mince et blond, Rufus portait ses cheveux coiffés en queue de canard. Sa bouche était molle, et ses yeux du bleu très pâle des violettes papilionacées, emblème des confédérés.
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