Cette façon dont nous gardons les morts en vie, à tellement vouloir réparer le passé. Cette façon dont nous les portons partout avec nous, et oublions ainsi de vivre notre vie.
Elle se sent tomber à l'intérieur d'elle-même, sombrer et s'enliser dans la boue ocre rouge qu'est devenu son sang.
Les malades, en chemises de nuit et robe de chambre, sont pâles et émaciées. On les croirait enveloppées de bandelettes, à moitié momifiées. Dépouillées du quotidien. Ce sont désormais des patientes et leur mission consiste à attendre, à attendre des biscuits, des analgésiques, mais aussi des hochements de tête entendus des spécialistes de passage, à qui elles rendent machinalement leur salut, sans avoir rien compris à leur discours.
On flotte et on brûle en même temps … N'est-ce pas ainsi qu'elle a expliqué à sa fille les effets de l'amour ?
Des pensées clapotent partout autour d'elle, surgissant des grands fonds, remontant à la surface. Des pensées qu'elle ne peut refouler.
Lorsqu'elle atteignit l'immeuble, elle vit son reflet déformé dans la vitre sombre et brillante de la porte d'entrée. on aurait dit un prisme de lumière brisé : des tessons d'elle-même oscillaient autour d'un centre noir.
Tenant le ticket dans une main et essuyant de l'autre la fenêtre embuée à côté d'elle, elle regarda dehors : derrière les étroits rubans de vitre transparente, les lampadaires défilaient en longs ruisseaux de cristal.
« La nuit se retire alors que le ciel du matin s’ouvre avec lenteur telle une porte monumentale .
Dans le jardin, des traits de lumière abricot apparaissent derrière les silhouettes noires des arbustes, qui déploient leurs longues feuilles comme des insectes géants étireraient leurs longues pattes.... »
Pendant le brossage des dents, elles entonnent tout à tour des cantiques, la bouche pleine de mousse. Dans la salle de bains, serrées autour du lavabo, elles se donnent des coups de coude tout en chantant. Leurs crachotement à la gloire de Dieu les font glousser. Elles avalent trop vite, s'étouffent et gloussent de plus belle. Avec leur brosse, ells font aller et venir les mots sacrés dans leur bouche jusqu'à ce que leurs dents soient aussi propres que leur âme devrait l'être. Elles recrachent dans le lavabo et regardent leurs péchés véniels, leurs paroles de colère, leurs pieux mensonges, leurs petites méchancetés, toutes ces choses anodines qui font d'elles ce qu'elles sont, disparaître dans la vidange en tourbillonnant Les voilà sanctifiées en toute frivolité, leurs langues maintenant sucrées et mentholées. (p133)
Katherine ressent la fatigue comme une douleur sourde. (…). Mais après une journée à faire les quatre volontés de ses enfants, elle rêve à présent de fermer la porte sur son identité maternelle, juste un petit moment, histoire de retrouver la personnalité qui est la sienne en dehors d’eux. Si tant est que cette possibilité existe.