Il y a chez moi des topoï qui déclenchent automatiquement mon intérêt pour un titre, en SF ce sont les rencontres avec d'autres espèces. Si en plus, j'apprends que c'est un titre fondateur du genre et ayant remporté un prix, ça ne peut qu'augmenter mon intérêt et titiller ma curiosité.
L'oeuf du Dragon de
Robert L. Forward coche toutes les cases.
Avec sa collection "Stellaire", Mnémos entreprend de rééditer de grands récits de SF un peu tombés dans l'oubli. C'était déjà le cas l'an passé avec Superliminal que j'avais aussi beaucoup apprécié, c'est à nouveau le cas avec
L'oeuf du Dragon où je suis ainsi aller à la rencontre de la science-fiction fort exigeante de
Robert L. Forward, écrivain disparu en 2002, qui a débuté très tard sa carrière de romancier avec ce titre, à 50 ans passé, mais qui était déjà un scientifique de renom, spécialiste des ondes gravitationnelles et des technologies aérospatiales, ce qui lui permet de nous écrire un roman aux allures très réalistes.
Je vais être honnête, ce fut plus un plaisir de femme curieuse sur la cosmologie et la vie ailleurs, qu'un plaisir de lectrice, que j'ai ressenti avec ce roman. Son exigence, sa tension narrative parfois en dent de scie, ont eu raison de moi de ce côté-là. J'ai donc sorti les rames à plusieurs reprises, non pas que les concepts étaient explicités de manière trop ardues, mais ils étaient lancés en rafale et c'était dur du coup de rester concentrée tout du long pour suivre. En plus, ils ne servaient pas toujours l'intrigue de l'histoire mais était plus là pour élaborer et déployer un décor crédible, ce qui est parfaitement réussi mais peut être un peu lourd aussi. Quant à la narration à proprement parlé, du fait de la particularité du récit, sur laquelle je vais revenir ensuite, on suit essentiellement un seul point de vue et cela m'a frustrée car il y a de longues plages assez mollassonnes avec eux. Ce n'est donc pas une réussite sur le plan formel. En revanche, j'ai adoré le fond, d'où ma note !
Je voulais une histoire de rencontre entre espèces, d'échanges, je l'ai eue ! Je voulais de la cosmologie de haut vol, je l'ai eue !
Robert L. Forward s'appuie sur ses connaissances scientifiques pour nous offrir un récit au décor sensationnel tant il est crédible, car s'appuyant sur des théories scientifiques solides. Et le plus fascinant, c'est que cela date du début des années 80 !
J'ai été fascinée dans un premier temps par le côté construction d'un univers avec la découverte d'une étoile à neutrons dans la constellation du Dragon sur laquelle une entité intelligente va se développer. Tout l'aspect cosmologie fut passionnant même si parfois un peu complexe à appréhender pour moi qui n'ai pas de formation scientifique, mais je me suis accrochée et l'auteur a parfaitement dépeint cet univers où la pesanteur est écrasante et où le temps défile, défile, à toute vitesse pour nous.
Je suis également restée sur les fesses quand je l'ai vu développer sous nos yeux la civilisation résultant de cette espèce intelligente et de sa rencontre avec nous, ce qui va accélérer son évolution juste sous nos yeux. Si dans un premier temps, l'ère que je vais appeler primitive de ces Cheelas, faite de nomadisme et survie, ne m'a pas passionnée, je suis vite restée scotchée dès qu'il y a eu des échanges avec les humains venus à leur rencontre dans l'espace. J'ai adoré, comme dans d'autres titres cultes du genre (par exemple l'excellent Dans toile du temps d'Andrian Tchaikovsky), voir cette espèce évoluer et la suivre dans les différentes phases la menant à une civilisation inspirée de la nôtre mais la dépassant du fait de ses particularités. C'était fascinant de voir ce qu'il avait imaginé comme évolution propre qui se croise avec l'évolution induite par notre influence mimétique. D'ailleurs le rythme s'accélère avec joie quand on atteint ce stade et le récit devient plus vif et critique alors. C'est très bien pensé.
Le revers de la médaille, c'est que ce choix scénaristique, avec une civilisation et des entités très différentes de nous qui vivent à un rythme trépident, impacte sur la narration. Côté humain très peu de temps passe tout au long de ce récit, juste quelques jours sur plus de 250 pages, du coup, l'auteur se concentre plus sur les Cheelas que sur les humains et l'aspect space opera, vie à bord d'un vaisseau, enquête sur cette nouvelle espèce et habitat, tout ça est un peu gommé et passé trop rapidement, alors que ça fait justement partie des éléments que j'adore habituellement, ce qui m'a frustrée. Pour les Cheelas, le problème fut qu'à vivre aussi vite par rapport à nous, au final, on a suivi énormément de générations et de personnages différents, à part une ou deux figures clés et fondatrices, ce qui a empêché de s'attacher à eux en tant qu'individus. Je les ai en revanche beaucoup apprécié comme entités de groupes avec l'absence de différences genrées homme/femme dans les rôle attribués par leur société. J'aurais aimé qu'on passe le concept au bout et qu'ils soient considérés comme "iels", mais ce n'était pas à l'actualité à l'époque de l'écriture, je crois.
Pour terminer, cette lecture fut également très enrichissante grâce aux apports de l'éditeur. Il nous offre une introduction qui revient agréablement sur le genre de la Hard SF, ce qui m'a fait me rendre compte que si j'ai lu certains titres phares récents, il m'en reste encore pas mal à découvrir. Il y a eu aussi un dossier scientifique sur l'ensemble de l'univers du roman très intéressant en fin de tome. Et une interview d'une des filles de l'auteur mais que je trouve moins intéressante car souvent, elle n'a pas la réponse aux questions posées ou botte en touche alors qu'on l'interroge sur les processus d'écriture de son père, ses relations ou préférences...
Réelle bonne surprise,
L'oeuf du Dragon fut une lecture qui m'a enthousiasmée intellectuellement. J'ai adoré aller à la rencontre de cette civilisation extraterrestre si singulière dans un lieu non moins singulier. Si la narration ne m'a pas pleinement convaincue et que j'ai ressenti quelques manques par rapport à mes goûts et attentes, impossible de nier la qualité du décor scientifique de l'ensemble. C'est pour cela que ce fut quand même une lecture fascinante et marquante.
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