Alixe et le graffeur

Alixe et le graffeur - Extrait - Chapitre : Carnage, p 92

« Alixe sourit. Elle était à nouveau agréablement surprise par l’investissement de Swann Pellegrin. Elle resta discrète cependant. Par ailleurs, ce qu’il lui avait appris l’avait impressionnée. Ainsi, il y avait un fil conducteur dans les œuvres du graffeur. Elle déclara doucement :
— Il y a un nouveau graff.
— Non, vraiment ! s’exclama-t-il.
— Si.
Il laissa échapper un rire bref.
— J’aime bien quand vous me tenez en haleine, comme ça.
Alixe accepta la boutade, puis reprit avec sérieux :
— Un block-letters sur la façade d’une maison, sur les quais. Je l’ai découvert tout à l’heure avant de venir ici.
Elle sortit son appareil photo de son sac à dos et lui montra les clichés qu’elle avait pris.
— Oui, ça ressemble beaucoup au précédent. Carnage, c’est rude comme mot, remarqua-t-il.
— Oui, un carnage cela veut dire tuer d’une manière violente une grande quantité d’animaux. Carnage vient du mot chair. Caro en latin. Synonyme de massacre, tuerie, boucherie. Ça ne peut pas être un hasard.
— En effet.
Elle vit qu’il réfléchissait considérablement. Il posa l’appareil photo sur la table et s’enquit :
— Comment l’avez-vous trouvé celui-ci ? Vous avez le don pour les dénicher.
Alixe hésita. Soudain, elle éprouvait des scrupules à lui mentir. La façon dont il avait cherché et rapporté les informations qui l’aidaient à analyser cette histoire méritait mieux. Elle prit un court instant avant de se confier :
— En fait, je ne les trouve pas... C’est le graffeur qui me les envoie. Je ne sais pas qui il est, mais il m’en adresse des sketchs, des représentations en petit format, par courrier.
Elle retira de son sac les trois cartes qu’elle avait reçues jusque-là. Sachant qu’elle allait découvrir le nouveau graff, elle les avait emportées avec elle le matin, pour comparaison. Elle les posa sur la table devant lui. Le visage de Swann Pellegrin exprima une réelle surprise. Il les observa avant de reprendre :
— Ça alors ! Et vous n’avez aucune idée de qui il s’agit ?
— Non. J’ai pensé que ce pouvait être un élève de l’école d’art où j’ai pris des cours de sculpture, mais je ne vois personne parmi ceux que je connais qui soit un graffeur. En plus, je n’ai pas créé de lien particulier avec les autres élèves. On dirait pourtant que lui me connaît, en tout cas, il connaît mon adresse. Apparemment, il sait aussi que je suis concernée par la cause animale. »

« Alixe ne croyait pas que le graffeur avait choisi au hasard ce quartier pour réaliser cette peinture. Il s’agissait du quartier dit « La vacherie ». Elle aurait pu penser à un défi humoristique de la part de l’artiste, si elle n’avait pas reçu par courrier un modèle réduit de ce dessin, trois jours plus tôt. Dans une enveloppe qui ne comportait pas les coordonnées du destinateur, elle avait trouvé un carton souple, de la taille d’une carte postale, reproduisant le même dessin : une vache noire aux longues cornes recourbées, entre lesquelles rayonnait un cercle rouge, avec le même pis enflé et lourd. Au dos de la carte était inscrit en lettres épaisses : quartier de la Vacherie, à Rochefort.
Alixe était à la fois déconcertée et emplie de curiosité. Elle avait reçu une seconde lettre la veille, un simple carré de papier disant : « la vache se trouve sur les murs de la Vacherie ». Cédant à la curiosité, elle avait profité de sa pause déjeuner pour se rendre à vélo dans ce quartier, et elle avait trouvé le graffiti sur le mur de cette maison qui faisait l’angle. Le parterre d’herbe rase lui avait sans doute facilité la tâche, mais le graffeur avait réussi à ne pas se faire surprendre avant d’achever son œuvre. Pourquoi lui avait-il envoyé ce modèle ? Voulait-il lui annoncer son dessin définitif ? Pourquoi et comment l’avait-il choisie comme destinatrice ? Était-elle la seule ? Elle ne pouvait répondre à aucune de ces questions. Elle n’avait aucune idée de qui il s’agissait. »