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EAN : 9782494584044
RAISON PASSIONS (01/09/2023)
5/5   1 notes
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Le travail à l'épreuve de la pandémie Scénarios pour demain
François GRANIER, éditions Raison et Passions Dijon 2023.

Le confinement de mars 2020 et les avatars qui lui ont succédé ont généré nombre d'études et de recherches sur la question du travail comme expérience existentielle, comme activité groupale ou individuelle. L'espace de travail, par exemple, s'est imposé comme un objet d'étude de premier plan qui a intéressé les sociologues des organisations, les psychologues du travail, les ergonomes, les chercheurs en sciences de gestion… Les travaux sont pléthoriques sans que tous atteignent pour autant une scientificité à la hauteur de leurs ambitions et prétentions. Dans ce contexte de surabondance éditoriale, la publication le travail à l'épreuve de la pandémie. Scénarios pour demain portée par François Granier, sociologue confirmé se référant au courant de l'analyse culturelle des organisations instituée par le regretté Renaud Sainsaulieu, apporte un souffle inédit au coeur de cette production somme-toute conventionnelle.

L'auteur a orchestré la collecte d'une cinquantaine de récits de vie en complicité avec un groupe d'acteurs sociaux relevant de différents métiers et branches professionnelles. La Compagnie. Pourquoi se lever le matin !, - voilà une raison sociale originale qui connote l'enthousiasme, l'énergie vibrante des passionnés et laisse entendre une approche sensible du labeur quotidien-, s'est donné pour mission de faire entendre le point de vue du travail tel qu'il se vit, tel qu'il irrigue les vies des uns et des autres. Elle précise dans ses statuts qu'elle « organise l'expression des travailleurs eux-mêmes, sur le travail et s'appuie sur les compétences de praticiens et d'experts ».

De nombreux secteurs d'activité sont décrits avec les mots spécifiques des métiers et l'ardeur de celles et ceux qui savent se lever le matin - sans qu'aucun relent sarkozyste ne vienne en polluer les représentations, cela mérite d'être précisé tant l'idée du travail a été instrumentalisée - mais qui durant les très longues semaines des confinements successifs ont littéralement inventé la nouvelle donne de leur métier. Ont su le mettre en mots. Ont su détourner les obstacles pour que bénéficiaires et usagers des activités ne subissent pas les effets cumulés de la crise sanitaire et des inégalités sociales. Ont inventé des dispositifs ad hoc pour contrer les aléas portés par les vagues épidémiques. C'est par exemple, Aurélie, professeur des écoles en maternelle qui crée avec des collègues une chaine You Tube pour diffuser « des petites vidéos pour nos élèves, pour avoir un lien, et ne pas laisser les enfants et leurs familles dans la difficulté car certains parents ont des problèmes pour lire les consignes ».

Le lecteur découvre alors que les successifs confinements ont modelé les représentations du travail et par ailleurs remis bien des idées reçues à l'endroit. Comme le rappelle l'auteur, le changement de la relation au travail fut brutal, sans transition et sans possibilité d'adaptation ; en effet, « de privilège, le télétravail devient une obligation pour celles et ceux dont l'activité n'implique pas une présence sur leur lieu de travail ». (p.8). C'est ainsi que le corpus des contributions révèle une approche que l'on pourrait qualifier d'affective des prestations et des actes réalisés dans le cadre professionnel ; le geste est posé comme singulier, réfléchi, porteur d'un sens pleinement investi que le télétravail n'a pas amoindri en n'empêchant pas, par exemple, les coopérations interprofessionnelles. Au contraire, l'opportunité du travail à distance a permis de réinterroger les actes fondamentaux des postes de travail. C'est que ce note Tiphaine, psychomotricienne et instructrice de locomotion, qui relève les apports imprévus du télétravail « expérience qui a pas mal changé de choses avec les familles, créé davantage de liens entre nous ». (p.100).

Pour autant, l'ouvrage ne fait pas l'impasse sur les difficultés rencontrées par les acteurs et les univers de travail mis à l'épreuve par l'irruption du télétravail confronté aux imaginaires professionnels et aux inquiétudes, parfois légitimes, des différentes strates hiérarchiques. En ouvrant le débat de la culture professionnelle comme « ciment des organisations », l'auteur propose un inventaire détaillé des points de tensions générés par la situation exceptionnelle liée au télétravail. Il en résulte des questions dont la répercussion dépasse largement celles du retour à la normale : ces thèmes ne devraient pas manquer d'irriguer dans les années à venir les recherches sur le travail, sur l'évolution des collectifs confrontés aux avancées technologiques mais aussi aux évolutions sociétales. Face à cet inconnu, l'auteur ne manque pas de convoquer les fondamentaux de l'anthropologie sociale, rites, normes, tabous, croyances, normes de sociabilité, mythes professionnels… qui conduisent à des interrogations aussi impliquantes que sociales, « qu'est-ce qu'un bon travail pour moi ?, quel « collectif pour un bon travail ?

Classiquement, l'auteur clôt son propos par l'exposition de pistes, « des scénarios alternatifs », prudemment formulés en raison de l'incertitude car « demain ne sera pas le prolongement des faits et tendances observables aujourd'hui ». Cela revient à laisser les acteurs au centre de la réflexion, « option qui a l'avantage de favoriser des temps de réflexivité individuels mais aussi d'échanges collectifs » (p. 141). de fait, limite de l'exercice, la réflexion et l'anticipation autour de ces « scénarios » sont privilégiés. Cela constitue indéniablement un outil de réflexion que chacun pourrait s'approprier et faire sien selon les contraintes particulières de son environnement social et professionnel.

Car tout l'intérêt de la problématique de recherche portée par l'ouvrage réside dans le fait qu'il associe des méthodes de recueil et de traitement des données qui ne sont pas courantes dans les pratiques usuelles de la recherche en sciences sociales et qu'il sollicite l'implication forte des personnes enquêtées. Cela est explicité dans le chapitre premier de l'ouvrage qui détaille les modalités du contournement des « méthodes académiques ». L'innovation méthodologique consiste en « la mise en récit » des propos recueillis « organisée autour d'un fil conducteur et expurgée pour plus de lisibilité, des scories langagières et répétitions inutiles ». (p.9). Rares en effet sont les recherches en sciences sociales qui se préoccupent avec autant de soin des verbatims de leurs informateurs. Cette sollicitude participe de l'économie même du projet de recherche. « Il s'agit, précise judicieusement l'auteur, de tenir un équilibre entre un souci de fidélité à l'énoncé de chacune des personnes écoutées et celui de livrer un texte sincère accessible à tous les lecteurs ». (p.9).

A l'heure où le thème du travail semble (re)devenir une préoccupation politique, cet ouvrage iconoclaste à bien des égards ne peut que trouver sa place dans les débats à venir : montrer que le travail est à la fois un procès individuel et qu'il s'inscrit dans le grand tout des organisations et des relations interpersonnelles et interprofessionnelles. Les confinements de 2020 pourraient avoir ouvert la boîte de pandore qui conduirait à articuler – enfin- la question de la qualité du et au travail. En 1884, l'écrivain britannique et penseur libertaire William Morris (1834-1896) cassait la baraque en prononçant une conférence où il défendait l'idée de l'attractivité de tout travail, même le plus humble.
François Granier et La Compagnie. Pourquoi se lever le matin ! seraient alors en passe de déclencher les turbulences d'une nouvelle utopie, faire du travail un acte d'engagement et de créativité en dépit des contraintes qui peuvent, au grès des événements, l'entraver.
Un ouvrage à mettre entre les mains de celles et ceux qui se préoccupent du travail… des autres !







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