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Critique de fbalestas


Il y a parfois des coïncidences littéraires qu'on ne maîtrise pas.
Après avoir chroniqué « Misericordia » de Lidia Jorge, je vies de terminer la lecture des « amants du Lutetia » d'Emilie Frèche, qui n'est pas sens lien avec le roman de la grande autrice portugaise.

Eléonore est une femme d'une quarantaine d'années qui vit à Paris.
Lorsque le roman début, Eléonore vient de recevoir un appel. Elle n'est rentrée que la veille au soir, après trois semaines d'absence elle est heureuse de rentrer chez elle. Elle vient de passer un week-end avec ses parents, Maud et Ezra, à Ramatuelle avec son fils Simon, juste une semaine avant que celui-ci s'envole pour la Chine où il a décroché un stage dans une grande agence de publicité.

Mais tout va basculer.

Un homme l'appelle et lui apprend qu'Ezra et Maud sont morts, leurs deux corps viennent d'être retrouvés dans une chambre de l'Hôtel Lutetia où ils se sont suicidés ensemble.

Qu'est-ce qui a poussé ses deux êtres qui certes prenaient de l'âge, mais n'étaient ni malades, ni pauvres, ni malheureux, et n'ayant parlé de rien à leur fille quelques jours plus tôt, à se donner mutuellement la mort ?

Une lettre qui lui est destinée lève un coin de voile sur cet acte hors du commun :
« Chère Eléonore, cher Simon,
Pour nous l'histoire était terminée.
Mais nos soyez pas tristes.
Nous avons eu une vie magnifique.
Nous avons eu beaucoup de chance, et profité au maximum de tout ce qui nous aura été offert.
Nous allions avois quatre-vingt-six et quatre-vingt-huit ans, que pouvions-nous nous souhaiter de mieux que de partir ensemble, et encore vaillants ? »

Commence alors pour Eléonore une quête, une enquête, une recherche, pour comprendre ce suicide commun. Domine chez elle la colère.

Car ses parents avaient tout pour être heureux. Ayant fondé une agence de communication peu après s'être rencontrés, ils étaient ce qu'on pourrait appeler un couple fusionnel, connaissant la gloire et la richesse dans les années 80. Une sorte de Jacques Ségala qui aurait fondé son agence avec sa femme. L'agence (qui reprend les initiales de Maud et Ezra), la plus grosse agence de publicité française après Havas et Publicis.

Ils sont riches, immensément.
Ils sont célèbres.
Ils font tout ensemble, diriger leur agence, voyager, construire une superbe propriété à Ramatuelle (les bulles) et même fumer la même cigarette, manger dans la même assiette au restaurant …
Ils n'avaient pas besoin d'avoir un enfant. Mais quand Maud a été enceinte pour la troisième fois, elle n'a pas fait le choix d'avorter. Et Eléonore est née.

Mais est-ce vraiment de l'amour ? Ou une alliance stratégique professionnelle ?
Et leur fille, l'ont-ils aimée ? N'ont-ils pas été assez égoïstes pour décider de mourir ensemble, sans penser à ceux qui restent ?

Eléonore ne s'en sort pas. Seul Vincent, le père de Simon dont elle est séparée, comprend sa souffrance et tente de l'aider. Ce n'est pas qu'elle ne devienne pas riche à son tour, puisque ses parents lui lèguent la propriété de Ramatuelle, par un savant montage fiscal passant par le Luxembourg, qui l'exonère de tous frais de succession.

Mais ce n'est pas du tout ce que veut Eléonore. Trahie, elle cherche des parents disparus, et se demande ce qu'elle a représenté pour eux, avec un profond sentiment d'abandon. Et comment vivre sans eux. Car Maud et Kerr avaient aussi une grande faille dans leur enfance, et le fait de se suicider au Lutetia n'est pas sans symbole …

Son fils Simon, lui, n'a pas tant d'interrogations. Il crée même un compte Instagram intitulé » les amants du Lutetia » qui va très vite rencontrer un très large public. Lui reconnaît tout à fait à ses grands-parents le droit d'avoir organisé leur suicide, citent d'autres cas similaires, et rameute les associations du droit à mourir dans la dignité sur son compte qui fait le buzz.

Eléonore et Simon sont fâchés. Elle ne veut pas d'un héritage qui pue l'argent sale et lui ne comprend pas ses réticences. Depuis la Chine où il va connaître un étrange succès avec son compte, c'est la rupture avec sa mère.
La fin du roman mettra un peu de baume sur la blessure d'Eléonore, qui va finir par digérer l'évènement du suicide pour tracer – enfin – son chemin à elle.

Curieux écho, donc, à « Misericordia » avec ce récit comme en miroir inversé d'une vie de grand âge qu'un couple refuse de vivre.
Je ne sais que penser de ces deux options – vivre en EPAHD dans un univers qui nous semble étroit mais qui mérite véritablement d'être vécu, version portugaise – ou bien se supprimer pour ne pas connaître la déchéance des corps.

Je reste perplexe, interrogative devant la période qui s'enclenche, lorsque les parents entrent dans la dernière partie de leur vie et qu'on redoute ce temps à venir.

Mais je salue la performance d'Emilie Frèche parce que « Les amants de Lutetia » est un récit très prenant et qui interroge encore une fois le mystère insondable du couple, sur lequel la littérature n'a pas fini d'écrire …
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