Les premières ailes d'Israël

Lenart s'avoua découragé. Il venait de prendre la tête d'une mission désespérée, mal conçue et foireuse. Une fois leur objectif localisé, chaque pilote n'en avait fait qu'à sa tête, en plongeant et en mitraillant sans qu'ils se coordonnent les uns avec les autres. Ils avaient perdu la moitié de leurs précieux appareils, mais aussi l'un de leurs pilotes. Il ne faisait aucun doute aux yeux de Lenart que cette attaque-surprise sur Ashdod n'avait été qu'un véritable fiasco.
Pourtant Lenart se trompait. Des écoutes israéliennes interceptèrent un message radio que le commandant des forces égyptiennes au sol, la major-général Ahmed al-Mwawi, avait transmis à ses supérieurs au Caire.
Subissons l'attaque d'avions ennemis. Sommes obligés de nous replier.
Le général égyptien avait été stupéfait par l'apparition de chasseurs portant l'étoile de David sur leur fuselage. Ni lui ni ses officiers de renseignement n'avaient jamais envisagé qu'Israël puisse posséder de tels appareils !
Cette nuit-là, la brigade d'infanterie Givat de Shimon Avidan avança ses canons de montage de calibre 65 mm - surnommés Napoleonchik -et s'en servit pour matraquer les troupes massées de l'autre côté de la rivière. Pendant tout le reste de la nuit, ainsi que les jours suivants, la brigade israélienne, en nette infériorité numérique, effectua de nombreux raids commandos sur les positions ennemies. Les soldats arabes démoralisés, ne purent rien faire d'autre que se mettre à l'abri et s’enterrer pour résister.
La brigade égyptienne ne franchirait pas de si tôt le pont d'Ashdod. Elle n'avancerait pas plus profondément dans Israël.
Tel-Aviv était sauvée. Et pour le moment, Israël aussi.

Eddie Cohen avait choisi la voie du guerrier à contrecœur. L'homme était plutôt quelqu'un de calme et de studieux, grand amateur de musique classique et très éloigné de l'image du pilote fanfaron. Il s'était porté volontaire pour défendre Israël sans autre raison que celle d'avoir le sentiment d'accomplir son devoir. Eddie Cohen venait de recevoir le triste privilège d'être le quatrième pilote de cette guerre à trouver la mort en opération.

Le 28 mai 1948, sur décret signé par Ben Gourion, la Haganah et les autres groupes de combattants furent unifiés au sein de l'Armée de défense d'Israël. Ce même jour, la Sherout Ha Avir - la branche aérienne de la Haganah - fut officiellement renommée Force aérienne israélienne.
Le soir même, dans le PC opération aux murs de béton, les cinq pilotes de chasse (Lenart, Weizman, Alon, Cohen et Rubenfeld) parvinrent à une décison commune. Maintenant qu'ils appartenaient à une véritable armée de l'air, leur minuscule unité devait offrir l'apparence d'un véritable escadron. Avec une véritable appellation.
Cela deviendrait un processus de décision démocratique qui resterait particulier à la Force aérienne israélienne, puisque les pilotes continueraient d'avoir le droit de choisir leur propre nom d'escadron. Cette nuit-là, ils décidèrent qu'ils s'appelleraient le... 101e escadron de chasse !
Tout le monde adora, jusqu'à l'état-major et Ben Gourion en personne. Ce nom avait du panache. Il sous-entendait qu'Israël disposait de nombreux escadrons de chasse et non pas d'une seule petite unité de cinq pilotes et de cinq appareils qui n'avaient encore jamais effectué la moindre mission.

Les pilotent s'accordèrent sur une décision unanime. C'en était fini de l'entraînement. Ils ne resteraient pas le cul assis sur une chaise en Tchécoslovaquie à attendre que la guerre se poursuive sans eux. Ils annoncèrent qu'ils allaient partir.
[...]
Les volontaires n'avaient pas passé plus que quelques heures aux commandes des Messerschmitt. Ils n'avaient reçu aucune formation au combat aérien, à la manière d'effectuer des passes au canon ou des bombardements, pas plus qu'ils n'avaient été formés aux tactiques d'engagement.
Mais cela ne comptait pas. La guerre avait commencé. Leur présence était nécessaire. Ils achèveraient leur formation aux tactiques d'engagement sur le tas, quand ils seraient en Israël.

Des Spitfire de la royal Egyptian Air Force étaient en train de bombarder le centre-ville de Tel-Aviv. Le bruit des explosions se propagea dans le monde entier, relayé à travers le micro placé devant Ben Gourion.
Les colonnes blindées des armées arabes s'enfoncèrent dans Israël. Les Syriens attaquèrent depuis le nord-est, dans l'objectif de saisir la Galilée. Les forces libanaises chargèrent depuis le nord, en suivant la route du littoral en direction de Haïfa. Les troupes irakiennes et leurs blindés se dirigèrent plein ouest à travers la Palestine. Elles n'auraient besoin de progresser que de 40 kilomètres avant d'atteindre la mer et de couper en deux Israël.
La Légion arabe de Transjordanie avait pour ambition de s'emparer des avants-postes et des territoires autour de Jérusalem. Quant à l'armée égyptienne, la plus importante de toutes les forces d'invasion, elle fit mouvement depuis le sud. Une des ses brigades remontait déjà le littoral à pleine vitesse afin de s'emparer de Tel-Aviv. Une autre avait pris la direction du désert du Néguev afin de capturer la ville de Beer-Sheva et de faire jonction avec les forces transjordaniennes avant de poursuivre avec elles sur Jérusalem.
Quelques heures seulement après sa naissance,le nouvel État d'Israël était assiégé et menacé sur toutes ses frontières.

Les aviateurs nouvellement arrivés voyaient pour la première fois les appareils qu'ils allaient piloter. C'est alors que l'étrangeté de la situation les frappa. Ils étaient juifs. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, ils étaient venus dans un pays communiste pour y piloter d'anciens avions de chasse nazis.

Hadj Amin al-Husseini, le grand mufti de Jérusalem, dévoué à Hitler durant la Seconde Guerre mondiale, avait déclaré le Jihad pour la libération de la Palestine. Ses troupe paramilitaires, fortes de 2 000 homme assiégeaient les implantations juives dans et autour de Jérusalem.
Les convois de ravitaillement vers Jérusalem subissaient de fortes pertes. En mars 1948, soixante-quatre Juifs avaient été tué en tentant de gagner Jérusalem dans un convoi de camions. Quarante-six autres étaient morts dans une embuscade alors qu'ils venaient à l'ai de d'un village assiégé en Galilée.
Le 4 avril, les forces de l'Armée de libération arabe - appuyée par la Syrie - avaient attaqué les campements juifs autours de Haïfa afin d'isoler la ville portuaire de Tel-Aviv et les les territoires au nord.
A la fin du mois d'avril, les combattants de la Haganah avaient repris l'offensive. Les unités paramilitaires arabes avaient été chassées de la majeure partie des implantations ou des avants-postes qu'ils avaient réussi à occuper.
Aux yeux de Ben Gourion, il s'agissait de la seule lueur d'espoir de ces cinq derniers mois de violence. Cela signifiait que les unités hétéroclites de la Haganah avaient, peut-être commencé à opérer à l'image d'une véritable armée. Cela sous-entendait également qu'ils avaient plus que jamais besoin d'armements vitaux qu'ils ne pourraient recevoir que par la voie des airs.
Et les avions supposés les leur amener se trouvaient toujours au Panama.

Les têtes pensantes chargées du recrutement pour la Haganah à Montréal et à Toronto décidèrent que Beurling constituait un atout trop important pour faire l'impasse dessus. N'importe quel pilote ayant à son tableau de chasse vingt-sept appareils de l'Axe abattus en seulement 14 jours serait le cauchemar des armées de l'air arabes.