La Poncia :
Moi, je ne peux plus rien faire. J'ai voulu barrer la route à ce qui vient, mais maintenant, j'ai peur. Tu entends ce silence ? Eh bien, dans chacune de ces chambres, il y a une tempête. Le jour où elle éclatera, elle nous balaiera toutes.
La servante :
Oui, oui, allez-y ! En avant, les cloches ! Un cercueil à filets d'or ! Des coussins pour le soulever ! Et, pour finir, logés à la même enseigne ! Bien fait pour toi, Antonio Maria Benavides, te voilà maintenant tout raide dans ton costume de drap et tes bottes de cuir ! Bien fait ! Tu ne viendras plus me trousser les jupons derrière la porte de ta basse-cour.
La mère
Oui ? Quel beau regard ! Tu sais ce que c'est que le mariage, petite ?
La fiancée, grave.
Je le sais.
La mère
C'est un homme, des enfants, et un mur épais de deux mètres entre toi et tout le reste.
La fiancée
Y-a-t-il besoin d'autre chose ?
Amélia
Naître femme est le pire des châtiments.
Magdalena
Nous, rien ne nous appartient, pas même nos yeux.
La Poncia
Elle a sûrement quelque chose, cette fille. Je la trouve inquiète, fiévreuse, effarouchée, comme si elle avait un lézard entre les seins.
Bienheureuse mille fois, elle qui a pu le tenir dans ses bras.
Vous qui êtes filles, apprenez, de toute façon, qu'au bout de quinze jours de mariage, l'homme quitte le lit pour la table, puis la table pour la taverne et qu'il faut ou s'y résigner ou se ronger de larmes dans son coin.
J'étais brûlée, couverte de plaies dedans et dehors. Ton fils était un peu d'eau dont j'attendais des enfants, une terre, la santé. Mais l'autre était un fleuve obscur sous la ramée, il m'apportait la rumeur de ses joncs, sa chanson murmurait. Je courais avec ton fils qui, lui, était tout froid comme un petit enfant de l'eau, et l'autre, par centaines, m'envoyait des oiseaux qui m'empêchaient de marcher, et qui laissaient du givre sur mes blessures de pauvre femme flétrie, de jeune fille caressée par le feu...
Moi, on peut me tuer, mais pas me cracher dessus. Et l'argent, tout brillant qu'il est, peut être un crachat.
La mauvaise langue n'est jamais à court d'inventions !
(p. 80) La maison de Bernarda Alba