Entrer dans des maisons inconnues

Privé de lecture je serais réduit à n'être que ce que je suis.
J.B.Pontalis

Puis il se tourna vivement vers moi et me demanda, soudain exalté: Lisez-vous?
Je le fis répéter.
Lisez-vous? fit-il, avec exactement la même intonation.
Je clignais un peu les yeux, et bredouillai quelque chose comme: Oui, bien sûr. Ou bien: Mon Dieu, oui, comme tout le monde. Il me regarda avec intensité. Et de la poésie, continua-t-il, vous en lisez? Parce que, enchaîna-t-il sans me laisser le temps de répondre, voyez-vous, lorsqu'on comprend un poème, lorsqu'on a le sentiment qu'on l'a enfin compris, c'est exactement comme lorsqu'on entre dans une maison inconnue: oui, c'est la même chose. Une porte a été ouverte par d'autres, ou bien vous l'avez ouverte vous, mais sans la forcer, surtout sans la forcer, et vous regardez à l'intérieur. Alors il se passe un moment plus ou moins long, mais ensuite, tout, absolument tout ce que est nouveau, peut-être même étrange, ou inouï, est soudain à l'unisson. Comme si chacun des objets que avez autour de vous participait à cette compréhension qui vous est donnée là, qu'il s'agisse d'un poème ou d'une maison. Tout est à la fois neuf et familier, unique et offert de toute éternité. C'est une sensation assez... étrange. Étrange et remarquable, conclut-il en rejetant la tête vers l'arrière.