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Critique de enjie77


« Vous aviez raison, il se pourrait que je joue prochainement « le Menteur et Hamlet ». C'était le 23 octobre 1959, c'était il y a un mois. Il n'aura pas pu dire : « Etre ou ne pas être, telle est la question » parce qu'il n'est plus. »

C'est avec beaucoup d'émotions que je viens de refermer le livre de Jérôme Garcin. Je regarde la photo de Gérard Philipe qui ne quitte pas mon bureau depuis très longtemps. Ce n'est pas sa meilleure photo ! du plus loin que je me souvienne, il a toujours été mon idole, je ne saurais dire pourquoi. D'aucuns vous diront qu'il a créé sa propre légende en mourant en pleine gloire si jeune. Mais j'étais beaucoup trop petite pour me rappeler.

Peut-on envisager qu'une petite fille puisse se sentir envoûtée par la voix harmonieuse de l'aviateur du Petit Prince, cette voix à nulle autre pareille, aux intonations masculines mais toute de douceur, fluide, à la plasticité toute féminine, faisant surgir de l'imagination de cette petite fille, des images de désert et d'un aviateur penché sous sa carlingue auprès duquel apparaît ce magnifique petit bonhomme. Sont-ce mes professeurs de français qui m'ont inoculé ce virus au temps où nous apprenions les répliques de nos classiques afin de pouvoir, lors du gala de fin d'année scolaire, monter sur les planches et déclamer ces citations, donner la réplique à nos camarades, tout ceci dans un état d'excitation que seules des élèves pouvaient ressentir à l'idée de jouer devant les parents. Peut-être aussi, les couvertures de nos classiques Larousse où Gérard, magnifique dans son costume du Cid, captait notre attention, lui dont la seule pensée nous éclairait lors de nos répétitions. (Il y avait aussi Thierry la fronde qui animait nos cours de récréation:-))) !

Ce grand adolescent, au visage d'ange noble et romantique, nous a quittés le 25 novembre 1959. Il a rejoint les étoiles à quelques jours de ses 37 ans. C'est dans le costume du Cid qu'avait dessiné le peintre Léon Gishia, dans un pourpoint bleu horizon recouvert d'une cuirasse matelassée bleu nuit à passements dorés et sa cape rouge vermillon que ces cuissardes l'ont transporté pour son ultime représentation, lui l'incarnation du talent et de la grâce.

Il fut avec Jean Vilar, les grandes heures du TNP. Quel dommage que Jean Vilar n'ai jamais souhaité que soient filmées les pièces de théâtre interprétées au festival d'Avignon ! Ce sont ces grands instants où Gérard Philipe donnait toute sa force, toute son incandescente beauté, toute sa capacité à incarner aussi bien la Tragédie que la Récréation. Il fut, pour moi, le Cid, Lorenzaccio, Ruy Blas, Fanfan La Tulipe, et le film qui m'a marquée, Les Orgueilleux avec Michèle Morgan.

Revenons au livre écrit par son gendre posthume si je peux m'exprimer ainsi.

L'auteur est l'époux d'Anne-Marie Philipe, fille de Gérard Philipe et de son épouse Anne. Anne-Marie avait cinq ans au décès de son père, et son frère Olivier, trois ans. Il semble évident que le mythe a rejailli sur l'ensemble de la famille. Difficile pour l'auteur de ne pas rendre hommage à ce sublime acteur.

Jérôme Garcin, relate, avec pudeur, sans rajouter du mélo au drame, à la manière d'un journal intime, les trois derniers mois de la tragédie qui va se jouer sous nos yeux, des vacances aoutiennes de Ramatuelle jusqu'à ce fatidique 25 novembre 1959.

A la suite de douleurs abdominales violentes, Gérard consulte le professeur François Gaudart d'Allaines. le diagnostic envisage un abcès amibien du foie. Une intervention est envisagée à la clinique Violet. Seulement voilà, le couperet tombe, on ouvre et on referme, cancer du foie foudroyant. L'équipe de médecins demande à voir Anne toute seule et c'est toute seule qu'Anne affrontera la nouvelle. Anéantie, elle cachera la vérité à Gérard.

Jérôme Garcin sait parfaitement décrire les émotions, les sentiments auxquels Anne doit faire face. Son désespoir, sa colère, son chagrin, devant la cruauté du destin, et toutes les pensées qui viennent l'assaillir. Ses deux jeunes enfants ne grandiront pas dans les yeux de leur père. le mythe est avant tout un père et un fils ! Et l'on assiste, les larmes aux yeux, mois après mois, semaine après semaine, au courage d'Anne qui fait face à son mensonge, à sa conscience mais Anne reste avant tout le pilier de son artiste de mari. Gérard ainsi protégé peut se consacrer aux projets qui le stimulent, aux textes qu'ils se préparent à interpréter comme Edmond Dantès ou Hamlet.

L'auteur aborde avec beaucoup d'humanité ces derniers jours. Il évoque aussi l'artiste engagé et l'homme qui malgré le succès, est toujours resté d'une grande humilité.

J'ai eu aussi plaisir à lire tous les passages évoqués sur les grandes tragédies grecques, que de souvenirs ! J'imagine que pour nombre de jeunes lectrices et lecteurs, l'histoire de Gérard Philipe est terriblement abstraite et fait partie de la préhistoire !!! Mais pour moi, ce fut un afflux de souvenirs, de tendresse, de poésie et de larmes !

C'est une plume extrêmement sensible que celle de Jérôme Garcin et j'ai bien l'intention de m'intéresser à sa bibliographie.

Je termine par la tirade de Perdican dans « On ne badine pas avec l'amourDe Musset » et je vais vous faire une confidence, j'ai toujours souhaité que cette tirade soit mon épitaphe :

« J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui ».


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