Cette semaine, Augustin Trapenard évoquait la question du deuil dans La grande librairie. Il recevait notamment Jérôme Garcin pour son livre "Olivier" paru aux éditions Gallimard.
Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/la-grande-librairie-saison-15/4474642-emission-du-mercredi-18-janvier-2023.html
me laisse pas le monde
changer ton regard.
mais laisse ton regard
changer le monde.
A ses élèves qui veulent connaître la philosophie des Lumières, savoir si Diderot est matérialiste et Camus, pessimiste, ou si Mallarmé est "compréhensible", il ne donne pas de réponses définitives. Au contraire, il leur démontre que rien n'est aussi simple, que la littérature n'est pas une science exacte, il leur "donne des soucis" pour le plaisir de les faire penser par eux-mêmes. (p.151)
Il fait une découverte stupéfiante. Au lieu de tourner ses yeux morts vers l'extérieur, il les oriente vers l'intérieur, en lui-même, où il peut vivre, courir, dessiner, où tout est plus stable et plus amical qu'au-dehors, où rien ne distingue le jour de la nuit, où les ombres n'ont plus leur place, où il peut déplacer à sa guise l'horizon, où il a le sentiment d'aborder un continent neuf et vierge [..]
Alors il éclate de joie : ses yeux ne sont pas fermés, ils sont seulement renversés.
Parmi tout ce que tu m’as appris, il y a d’abord ceci : on écrit pour exprimer ce dont on ne peut pas parler, pour libérer tout ce qui, en nous, était empêché, claquemuré, prisonnier d’une invisible geôle. Et qu’il n’y a pas de meilleure confidente que la page blanche à laquelle, dans le silence, on délègue ses obsessions, ses fantasmes et ses morts. Tu m’as révélé l’incroyable pouvoir de la littérature, qui à la fois prolonge la vie des disparus et empêche les vivants de disparaître.
(...) le peintre Jean Bichier, alias Jean Hélion, qui s'était évadé en 1942 d'un camp de Silésie où il était détenu, fit poser Jacques Lusseyrand. Il voulait faire son portrait. "ce que je cherche à peindre, lui dit-il, c'est ton regard. Je vois qu'il n'est pas dans tes yeux. Mais je vois qu'il a sa place dans ton visage: une région plus large dont j'aperçois le contour." . Et il précisa: "Un portrait, c'est fait pour montrer comment un homme fleurit au-dessus de lui-même" (p.60)
Les coups réguliers, séculiers et théâtraux de la maréchalerie, d’où sortaient, rougis à la forge et dessinés à l’enclume, les mocassins de fer que les chevaux allaient garder pendant quatre ou cinq semaines, ne résonnent plus, comme la cloche de l’église rythme l’heure provinciale, sur la pierre royale des Écuries. La ville est devenue un musée où, comme sur les gravures d'antan, pesades et croupades sont pétrifiées dans un temps arrêté, un mouvement immémorial.
(Saumur, p. 91)
Extrait d'une lettre à ses parents :
" Je le répète, il n'y a rien d'autre. Les jours où j'ai écrit, je Suis. Il peut m'arriver tout ce qu'on voudra. J'aime le monde et tout ce qu'il contient. Si je n'écris pas, je suis un infirme. "
S'il écrit, il n'est donc plus un handicapé. Il vit mieux, plus fort, plus haut.
l'enfermement dans une cellule froide et humide de quatre mètres sur trois, ou la table est scellée, la chaise fixée au mur par des anneaux de métal rouillé, et dont-cela parait inconcevable-l 'obscurité devient insupportable à sa cécité.
"Tous les dimanches soirs, pour une heure
seulement,
La vie suspend son cours, elle s'arrête un moment.
Les joutes et les combats des critiques habiles
Nous font croire un instant que rien n'est difficile.
d'abord l'ineffable, voilà Jean-Louis Ezine,
le lecteur suprême, celui qui seul devine,
D'un coup d'œil assuré qualités et défauts,
En ouvrant un livre, en en lisant trois mots.
(...)
Il aime des livres chacun des paragraphes,
Dont il prend le meilleur, lecteur jamais repu,
Qu'il récite le soir à sa Dame Girafe.
Dans l'ombre d'un bosquet se tient
Michel Crépu.
et pour habilement souligner les larcins
de ceux qui ne se tiennent qu'aux lectures
virtuelles
il en fallait bien un, ni trop bon ni cruel,
A nul autre pareil, voici Jérôme Garcin" ( Aloïs de Valloires- p. 273-274)
Les jumeaux s’aiment déjà, durant des mois, dans le ventre de leur mère. Ils dialogueraient, s’observeraient, se toucheraient, multiplieraient l’un vers l’autre des gestes lents auxquels le liquide amniotique conférerait une manière de grâce détachée, d’insouciante félicité. Des échographies auraient même révélé, à partir de l’instant où la vision commence à se développer chez le fœtus, un incroyable baiser des jumeaux : deux petits nageurs qui s’enlacent et deux bouches qui s’embrassent dans l’insondable nuit intra-utérine, image sidérante d’un amour d’avant l’amour, d’une étreinte physique et peut-être mentale qu’ils chercheront en vain à reproduire tout ton long de leur vie.