Dans ce continent jeune et neuf, il n'est plus considéré comme le grand garçon du directeur de l'usine électrique, le neveu ou le cousin, le filleul, le voisin ou le camarade de lycée.Toutes ces étiquettes, tous ces liens ont disparu.Doit-il le regretter? En débarquant il est devenu une page blanche.
Ici, il sera qui il veut, un aventurier, un promeneur, un chercheur de trésors, le fondateur de Dieu sait quoi (...)
( p.53)
"Votre roman, c'est d'après une histoire vraie ?"
Cette interrogation m'a longtemps décontenancé. Je n'ai jamais osé rétorquer : " Si vous ne voulez que des histoires vraies, contentez- vous de lire des actes notariés, des biographies ou des rapports de police !"
Les premières fois, je bredouillai: " Est-ce donc si important pour vous ?"
Désormais, je réponds d'une boutade qui n'amuse que moi: " Ce roman- là ? C'est d'après une histoire fausse."
La véracité d'un récit est-elle un atout ou une pesanteur ?
( p.176)
Le dimanche venu, Marcel se rend à la messe, après avoir trouvé non sans mal l'une des rares églises catholiques de Sydney.Le prêtre comme les enfants de choeur sont irlandais, roux et pauvres.
( p.74)
Mon père a pris sa retraite après une longue carrière universitaire dédiée à la linguistique, au russe et aux autres langues slaves.Le digne professeur s'est ensuite tourné vers le grand public, écrivant des livres et donnant des conférences pour rendre intelligibles les conflits de l'ex- Yougoslavie.Toute sa vie, il a été conscient de la puissance de l'écrit et de l'importance de la transmission.
( p.138)
À mon tour, lorsque le moment sera venu,je serai confronté à la mort de mon père, lui qui par sa seule présence me protégeait de la faux du temps.
( p.168)
Que deviennent les rêves d'un homme, une fois qu'il n'est plus là ?
Si le choix d'un nom pour un nouveau- né fait l'objet de cérémonies civiles et religieuses et de proclamations envers la communauté l' abandon d'un nom se fait dans l'ombre, peut-être la honte, en tous cas la solitude.Comme une bougie aux trois- quarts consumés, que l'on souffle, , et vient la nuit.
Cette part immatérielle de l'héritage devrait être paisible et immuable.
Lorsqu'elle se révèle fardeau, piège ou menace, on peut s'en délester. (...)
Déserter son histoire.
( p.95)