Mais quelque chose me turlupinait : je devais m’être éloigné à des milliers de kilomètres. Je n’avais même pas vu M. Gunnell approcher. D’un autre côté, une piste d’atterrissage me séparait de son bureau. Je veux dire par là que j’étais assis tout au fond de la classe – le tableau noir aurait pu se trouver dans un autre pays. Les mots n’étaient que des chevaux de cirque qui se cabraient. Du moins, ils ne restaient jamais assez longtemps immobiles pour que j’en comprenne le sens.
Le seul que je parvenais à lire était l’énorme mot rouge qui barrait la photo de la lune. Il vous assenait une claque, ce mot
PATRIE.
En tant qu’être stupide, inapte à entrer dans les cases d’une feuille de papier quadrillé, j’étais resté un certain temps au fond de la classe pour comprendre que j’étais devenu invisible. Il fallait que les bras en tank de M. Gunnell aient besoin d’exercice pour que je réapparaisse.
Là seulement, je voyais rouge.
Il m'était apparu alors que le monde était plein de trous, des trous dans lesquels on pouvait tomber, être englouti à jamais. J'avais du mal à comprendre la différence entre disparition et mort. A mes yeux, c'était la même chose, les deux laissaient des trous. Des trous dans le coeur. Des trous dans la vie. Il n'était pas difficile de se rendre compte de leur nombre. L'apparition d'un nouveau trou était évidente.
Il ne répond pas mais je sais qu'il écoute. Les mots sont les seuls médicaments à ma disposition.
- Tu as donné du sens à un monde qui n'en avait pas. Tu m'as offert des bottes d'astronaute pour que je puisse arpenter d'autres planètes. Sans toi, je suis perdu. Il n'y a plus de gauche, ni de droite. Plus de demain, ne reste que des kilomètres d'hier. Qu'importe ce qui arrive désormais parce-que je t'ai trouvé. C'est pour ça que je suis ici. Pour toi.Toi que j'aime. Mon meilleur ami. Mon frère.
Hector s'était redressé dans son lit. Les murs étaient minces comme du papier à cigarettes. Il avait mit un doigt sur sa bouche. Je le voyait distinctement grâce au clair de lune qui innondait le parquet de notre chambre. [...]
Hector avait apporté la lumière et n'avait laissé que l'obscurité après son départ.
D'après Papou, si les hommes sont assez fous pour se détruire eux-mêmes, les rats et les cafards seront au moins aux première loges pour profiter du spectacle de dame Nature se réappropriant la terre.
"Je me demande si...
Si le ballon de foot n'était pas passé par-dessus le mur.
Si Hector n'était pas allé le chercher.
S'il n'avait pas gardé l'abominable secret pour lui.
Si...
Alors, je me raconterais sans doute une autre histoire.
Voyez-vous, les "si" sont comme les étoiles, innombrables."
".Mlle Connolly, notre précédent professeur, nous serinait toujours qu'il fallait commencer une histoire par le début. Nettoyer une fenêtre pour voir au travers. Tout bien réfléchi, je ne suis pas certain que ce soit ce qu'elle ait voulu dire. Personne, pas même Mlle Connolly, n'ose écrire ce que nous voyons de l'autre côté de cette vitre sale. Il vaut mieux ne pas regarder dehors. Et si on peut l'éviter, il est préférable de se taire. Je ne serais pas assez bête pour consigner cela noir sur blanc"
Voyez-vous, tout clochait dans le tableau. Pour commencer, le directeur n'était pas bouffi d'importance. Il ressemblait à un zeppelin dégonflé – sans air à brasser. Le nœud dans mon ventre m'a averti que l'homme en manteau de cuir était venu pour moi et je réfléchissais à tout allure à ce qui me valait d'être dans le pétrin. Je me suis fait une liste.