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Critique de Laureneb


Théophile Gautier est un des plus fidèles combattants du romantisme. Pas un des généraux théoriciens comme Lamartine ou Hugo, mais dans l'infanterie, sur le terrain. Il a combattu, presque physiquement, pour la bataille d'Hernani. Et il reste un romantique même lorsque le courant est devenu anachronique, passé de mode pourrait-on dire. Surtout, il est fidèle à ses amitiés, et reconnaît humblement le génie des autres.
Baudelaire n'est encore reconnu en 1868 que d'un petit nombre de lecteurs, la poésie n'est pas ce qui est le plus lu en France, et Gautier explique que celle de Baudelaire est exigeante, qu'il faut des références littéraires pour la comprendre. de plus, le procès des Fleurs du mal lui a fait une mauvaise publicité dirait-on en terme moderne, dans la mesure où une réputation sulfureuse est attachée à sa personne et à ses oeuvres - Gautier va jusqu'à dire que Baudelaire est comparé à un diable, et que, lui, Gautier, en lisant et en relisant Baudelaire, n'est pas mort empoisonné de lire des passages indécents.
Gautier veut donc rendre hommage à Baudelaire et à son oeuvre, la faire connaître davantage alors que celui-ci est décédé - un peu comme le fera Verlaine avec son recueil sur les poètes maudits. Son texte est donc plusieurs choses à la fois. D'abord, une biographie du poète. Il le décrit comme un visionnaire, comme un élégant, il parle de sa vie et ses aventures intimes - de façon très discrète, de sa maladie qui est le contraint à la paralysie et l'empêche de parler. Mais toujours en le mettant dans son contexte, au milieu des autres écrivains. Gautier décrit donc une vie de bohème, des petits appartements pauvres mais décorés de bibelots extravagants reflétant le dandysme, son goût pour les parfums, son amour des chats. Il évoque le club des Hachichins, tout en précisant que Baudelaire n'avait pas besoin de drogue pour créer.
Et il place Baudelaire au-milieu des écrivains de son temps - tout en le plaçant à part : il cite Aloysius Bertrand, encore moins lu à cette époque, Bazac, Stendhal, Poe, la grande source d'inspiration et le modèle de Baudelaire, Hugo...
Il y a peu d'allusion à Hugo dans le texte de Gautier sur Baudelaire. Mais Gautier est un de ses fidèles, depuis le début - j'emploie le mot à dessein dans un sens presque religieux. Ce texte date de 1868 : le romantisme n'est plus le courant dominant, Hugo est hors de France depuis plus de quinze ans, ses oeuvres ne sont officiellement pas autorisées, mais Gautier pense toujours à lui et il lui rend hommage. Oh, l'allusion est certes discrète, mais elle est évocatrice, avec une périphrase puissante : le "saint Jean poétique qui rêve dans la Patmos de Guernesey" - l'auteur de l'Apocalypse, exilé sur une île, personnage auquel Hugo lui-même s'identifie dans les Châtiments.
Ce texte est donc aussi une critique littéraire, une étude de la versification et de l'écriture de Baudelaire. Gautier décrypte la langue de Baudelaire, ses formes poétiques, pour expliquer ce qui en fait la force et la beauté ; il va jusqu'aux détails techniques de mêtrique des vers. J'ai ainsi apprécié son analyse des "sonnets libertins" : un sonnet qui ne respecte pas les règles classiques n'est ainsi pas un véritable sonnet. Il parle de certains poèmes en particulier des Fleurs du mal pour démontrer leurs qualités. Mais il fait aussi l'éloge de la modernité de Baudelaire avec son utilisation géniale et révolutionnaire de la prose.
C'est ensuite un éloge d'Edgar Poe, qui permet de faire l'éloge de Baudelaire, lui qui l'introduit en France et le traduit. Gautier rapproche les deux écrivains et les compare. Il le compare aussi aux peintres, Delacroix notamment.
Gautier écrit donc à la fois une critique et une analyse littéraires, une description des milieux artistiques romantiques, la biographie d'un génie avec des touches biographiques puisqu'il parle de lui en même temps, un hommage à tous les artistes talentueux du XIX ème siècle... Et, surtout, c'est l'oeuvre d'un ami qui évoque ses amis, l'oeuvre d'un artiste lui-même mais qui ne se juge pas digne d'être placé au même rang que les autres, qui ne s'estime pas assez, et ceci est très émouvant.

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