Un an plus tôt, quand elle était trop maigre et qu'elle refusait de manger, dormir, pleurer et qu'elle se rongeait les ongles jusqu'au sang, le docteur Harwood lui avait donné des comprimés pour dormir, mais toi, tu ne trouvais pas qu'elle dormait tant que ça.
Son bras amorphe pendait sur le côté et de haut en bas, était couvert de cicatrices ; des cicatrices qui se croisaient comme des routes sur une carte. Tu pensas au jeune Milos dans le livre que tu lui avais emprunté, qui s'ouvrait les veines dans l'eau chaude du bain.
C'était un homme de la campagne, ton père. Il était arrivé à Dublin quand il était jeune et ne s'était jamais senti chez lui. En revanche, quand il enfonçait la pelle en acier dans la terre, il y allait de tout son corps : là, dans ce paysage concret, il était lui-même et son existence prenait enfin sens.
Plus tard, quand vos corps s'étaient réchauffés et que tu étais un peu ivre, tu t'allongeas nu sur elle et lui demanda de te dire «je t'aime», pour l'entendre une fois, mais elle te repoussa sur le côté, se mit à quatre pattes et te dis de la baiser comme ça, fort. Tu t'exécutas et avant d'avoir terminé, tu serras une mèche de ses cheveux dans ton poing et dis : « Je te déteste. »
- Tu crois en Dieu?
- Je sais pas, j'ai trop peur de ne pas y croire.
Je n'appelle pas au secours, je ne veux pas être secourue. Tu comprends?
Tu avais le cœur au bord des lèvres et une larme roula sur ta joue. Cela te surprit et tu te passas le bout des doigts sur le visage pour vérifier, même si tu l'avais clairement sentie, même si tu t'étais juré que tu n'éprouvais aucun sentiment pour elle.
Tu emportas le bout de papier dans l'arrière-boutique et, avant de le plier avec précaution et de le glisser dans ta poche, tu lis son nom, mais dans ta tête, pour qu'il ne soit qu'à toi. Vera.
Elle leva la tête et sans vouloir être effronté, tu t'autorisas à la regarder.
Elle n'était pas du tout vieille, pas comme tu l'avais imaginé - cela te surprit - mais elle n'était pas jeune non plus. Elle était belle.
Il ne fallait pas faire confiance aux policiers. Tout le monde savait ça. Ils étaient vaches, puisqu’on disait mort aux vaches.