La ferme des Gilquin était bâtie sur un plateau qui est une légère surélévation du sol de la plaine de Vendée. Au sud-ouest, on apercevait, pendant le jour, la couleur lointaine et changeante de la mer. Le soir, on voyait briller la lumière tournante du phare de l'île de Ré.
Ce pays, que l'on pourrait supposer sans caractère, sans pittoresque, illimité et monotone, avec des horizons toujours semblables, vers lesquels s'en vont des champs tous pareils, est au contraire pourvu d'une beauté singulière et admirable.
Les hommes, les femmes sont à la tâche, courbés sur le sol, fouillant la terre de leurs outils qui deviennent des mains et des griffes de fer. Le travail s'accomplit avec une rage méthodique. On n'entend pas de paroles, —rien que le han ! des poitrines, le rauque sifflement des respirations. Par moments, un homme se dresse, remet debout avec effort son corps cassé en deux. Appuyé sur son hoyau, comme un soldat sur son arme, il lève un visage congestionné et hâlé, où luisent deux yeux farouches. Il contemple tout ce qui l'entoure, cherche ses ennemis et ses amis. Cette terre noire va-t-elle lui rendre en pousses vertes, en tiges robustes, tous les soins qu'il lui donne en s'ankylosant les membres, en se crevant de fatigue?
"L'enfermé" de Gustave Geffroy.