Pendant les cours, je passais mon temps à lire des romans en me cachant derrière les manuels scolaires. Je me débrouillais toujours pour m'asseoir au dernier rang. J'étais ainsi à peu près sûre que mes professeurs ne pourraient me surprendre.
Ils avaient de toute façon d'autres chats à fouetter : nous étions bien trop nombreuses par classe, plus de 60 pour qu'ils prêtent une attention particulière à l'une d'entre nous. Il fallait suivre, et tant pis pour celles qui se perdraient en chemin.
Gusoon, c'est un peu comme Marie-Thérèse en français. Quand on a 70 ou 80 ans, ça passe... mais ce sont les 60 premières années qui sont difficiles à vivre.
En plus d'etre intraitable avec mon niveau scolaire, elle était aussi très à cheval sur l'éducation religieuse. Tous les dimanches j'étais obligée d'aller à l'église. A ses yeux, manquer la messe était encore plus grave que de ramener une mauvais note à la maison.
Sooni était gentille, bien sûr, mais je m'ennuyais avec elle. Elle se plaignait tout le temps, et puis j'en avais plus qu'assez de ses histoires familiales qu'elle rabâchait en boucle. J'avais mes propres problèmes et c'était bien assez ! Chanok, elle, était pleine de vie, amusante, décalée, légère : tout ce que n'était pas Sooni.
Chanok était issue d'une famille aisée, branchée. On ouvrait le frigo, on prenait ce qu'on voulait, on fumait des cigarettes en toussant et en prenant des airs inspirés, la belle vie quoi !
Avec elle, je me sentais libre.
Malgré toutes ces peurs enfantines, la plupart du temps je m'amusais, insouciante dans ce pays paisible et doux, gorgé de soleil.
J'avais alors 17 ans. La police accentua sa perssion sur la population, notamment la plus démunie. Il fallait montrer au monde entier une image propre et moderne de notre pays. Les marchands ambulants, dont faisaient partie mes parents, furent chassés sans ménagement du centre ville.
Nous vivions dans une jolie maison traditionnelle que mon père avait construite de ses propres mains.