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Critique de HundredDreams


J'aime beaucoup les récits qui évoquent la nature, les animaux, et en particulier la faune marine. Ce premier récit d'Abby Geni, judicieux mélange de thriller psychologique et de nature writing, est une très grande réussite.
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Longtemps appelées l'archipel des Morts, les îles Farallon sont un petit ensemble d'îlots rocheux et inhospitaliers au large des côtes californiennes. Ce petit sanctuaire pour animaux sauvages, livré aux caprices d'une nature impitoyable, est une des îles les plus dangereuses au monde.

« Les Miwoks croyaient que l'endroit était aussi bien spirituel que physique. Ils le voyaient comme un enfer sur terre où étaient envoyées les âmes damnées pour y vivre dans l'inconfort et la solitude. »

Seuls, quelques scientifiques et chercheurs passionnés y résident dans des conditions de vie très rudimentaires, étudiant autour de ce lieu protégé, les cétacés, les requins, les populations d'otaries, de phoques, d'éléphants de mer, et les colonies d'oiseaux marins.
A leurs risques et périls…
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Sous la forme d'un récit épistolaire, nous découvrons Miranda, la narratrice, une photographe de la nature, qui a voyagé partout dans le monde à la recherche de paysages extrêmes. Expérimentée, elle a reçu l'autorisation de passer une année entière sur les îles Farallon pour y photographier les paysages aussi envoûtants qu'hostiles, ainsi que la faune dans son milieu naturel.

« Les îlots sont les étoiles principales d'une galaxie de vie marine. Il y a les grands requins blancs, en visite périodique, qui quittent leur orbite mystérieuse pour venir traîner au large. Les baleines, pareilles à des comètes lointaines, qui viennent ici en quête de krill. Il y a les macareux huppés. Les loutres de mer. Les cténophores. Je suis bien partie pour rester une année entière sur ces îles. J'aurai besoin de tout ce temps pour photographier ce coin de bout du monde. »
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A travers son courrier, le lecteur fait la connaissance avec cette jeune femme solitaire et fragile sur le plan émotionnel et psychologique. Fascinée et séduite par cet endroit isolé, elle n'en ressent pas moins beaucoup d'appréhension.
En effet, la beauté sauvage des îles Farallon se heurte à la rudesse du climat, au hurlement du vent, au fracas des vagues, aux violentes tempêtes, aux animaux sauvages et à la dangerosité du site.

« La mort n'a jamais été aussi présente pour nous sur les îles Farallon qu'en ce moment. Il n'y a pas si longtemps, elle était comme le bruit de l'océan diffusé par l'arrondi d'un coquillage – distante, vague, à moitié fantasmée. Elle est désormais sur le devant de la scène. »

Nous découvrons, en même temps que la narratrice, les six résidents, leur personnalité, leurs secrets.
La présence des biologistes n'apporte pas la chaleur tant attendue malgré la promiscuité imposée. Etranges et taiseux, ils amplifient le phénomène d'isolement, d'insécurité, de malaise et de défiance.
La confiance envers les résidents est très vite mise à mal, leurs comportements aussi étranges qu'étouffants. L'atmosphère s'épaissit rapidement, rendant le récit inquiétant, menaçant, mais aussi particulièrement captivant et addictif pour le lecteur.

« En fait, on peut mourir d'une centaine de façons sur ces îles. Il est même fascinant que nous ne soyons pas déjà tous six pieds sous terre – abandonnés au vent, à l'océan et au don formidable qu'ont les humains pour la mort accidentelle. »

Les silences sont tendus comme de cris de colère, de souffrance, de chagrin, de haine ou de ressentiment. Construit autour des thèmes forts comme le traumatisme, la douleur, le deuil, le déni et le poids de l'absence, ce thriller offre au lecteur un véritable huis-clos à ciel ouvert.
L'épilogue raconté par un des biologistes est particulièrement réussi, apportant des réponses à certaines de nos interrogations.
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Le métier de Miranda nous amène à côtoyer de nombreux animaux marins, à découvrir et mieux comprendre, au contact des biologistes, la vie de la faune marine.
Le roman se découpe en quatre saisons, selon l'espèce présente sur les îles à ce moment-là, formant un cycle avec ses naissances et ses décès. Pour chacune d'entre elles, saison des grands requins blancs, saison des baleines, saison des phoques, saison des oiseaux, Abby Geni décrit les impressionnantes migrations, les combats parfois sanglantes pour s'approprier les femelles, les modes de reproduction, l'alimentation, ...

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Le travail d'écriture de cette jeune auteure est vraiment incroyable, à la fois poétique et pesant, lumineux et sombre, très descriptif, merveilleux tout comme tragique. Elle crée une atmosphère de tension, de suspicion et de fébrilité entre les personnages qui s'accorde totalement au décor naturel.

Le lecteur se sent emporté par cette ambiance terrifiante et séduisante, ressentant l'influence de l'archipel, sa beauté brute et sauvage, le rivage glissant, les embruns salés, la brume froide et humide, le frisson glacé porté par le vent, à tel point que l'île peut être perçue comme un personnage à part entière.

C'est un roman très sensoriel.
L'auteure excelle à nous faire ressentir les fortes odeurs de guano, la répulsion face à ces milliers de souris qui ont envahi l'archipel, le chant presque humain des baleines, les cris tapageurs des oiseaux marins, le hurlement du vent, le fracas des vagues qui s'écrasent sur les falaises abruptes et déchiquetées.

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C'est aussi une belle réflexion sur l'art photographique. Par le choix de son matériel et du cadrage, Miranda raconte une histoire, capture certains moments, mais également manipule notre interprétation.

« Quand les visiteurs d'une exposition regardent un tableau, ils ont accès, pour une fraction de seconde, à l'esprit de l'artiste. Un genre de télépathie. de voyage dans le temps. À l'avenir, quand les gens regarderont mes photos des îles, ils verront ce que j'ai vu. Ils se tiendront au même endroit que moi, entourés de cet océan. Peut-être éprouveront-ils même un peu de l'allégresse qui m'a saisie ici. »

Aby Geni a également une idée très précise de ce qu'elle veut que le lecteur perçoive.
Par le choix d'un angle de vue rapprochée sur Miranda, elle cherche à créer une certaine proximité et une certaine intimité avec la jeune femme.
Mais l'auteure écrase également la perspective et change la perception globale de la scène. En racontant une histoire à l'intérieur du cadre et en laissant dans l'ombre d'autres scènes comme les coulisses d'une scène de théâtre, elle manipule le lecteur, induisant des émotions et des sentiments plutôt que d'autres.

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Ce huis-clos, troublant, fascinant et dérangeant, m'a empoignée et ne m'a plus lâchée jusqu'au dénouement. Il m'a rappelé « Les dix petits nègres » d'Agatha Christie, ainsi que « Les oiseaux » d'Alfred Hitchcock, avec la présence fascinante, dérangeante et écrasante des mouettes et surtout des goélands.

Un coup de coeur pour ce superbe roman que je vous encourage à découvrir à votre tour.
Ce roman m'a tellement plu que lorsque j'ai déniché involontairement dans une petite bouquinerie « Zoomania », un autre roman de l'auteure, j'y ai vu une invitation à le lire et il est venu tout naturellement s'ajouter à tous mes livres en attente.

Pour finir, je tiens à remercier Selias qui m'a donné envie de lire ce roman.
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