L'ultime secret

(...) les Turcs seldjoukides qui nous avaient ravi la Terre sainte.
Ceux-là non plus ne perdaient rien pour attendre, une fois cette bataille-ci remportée. Les Grecs byzantins qui règnent ici continuent de se réclamer de la chrétienté alors qu’ils n’honorent plus le pape et interprètent la Parole de Dieu selon leurs coutumes barbares. Mais nous avons reçu ordre de ramener ces gens dans le droit chemin par la force. Et par la grâce du Christ et sous l’égide de notre bon seigneur Dandolo, nous y parviendrons !

Il y avait déjà eu deux batailles l’année précédente qui avaient à moitié détruit la cité ou ce qu’il en restait depuis qu’elle avait commencé de tomber en ruine. Non pas qu’elle n’ait rien gardé de sa grandeur. À côté, notre ville de Paris semblait un village. Érigée neuf siècles plus tôt, à l’époque où l’empereur Constantin en avait fait le siège du nouvel Empire catholique romain, elle était devenue la porte du Levant et le bastion de l’Europe contre les Turcs seldjoukides qui nous avaient ravi la Terre sainte.

Nous regardions le feu s’accrocher à leurs vêtements qu’ils tentaient d’arracher en poussant des hurlements.

Nos premiers hommes furent mis en pièces par la garde viking, l’engeance saxonne qui défendait le faux empereur, mais nous persistâmes, déferlant sans fin, tandis que les siphons de bronze de nos vaisseaux crachaient du feu liquide sur ces pitoyables défenseurs.

À l’intérieur, l’odeur de la poix bouillante nous suffoquait, et nous fûmes aveuglés par la lumière du jour quand nous émergeâmes des tunnels torrides et obscurs.

Nous abaissâmes les rampes d’assaut fixées à la proue des vaisseaux pour les caler au pied des deux tours du mur d’enceinte les plus proches. Grand bien nous prit de les recouvrir de peaux de vache trempées dans le vinaigre, car, pour sombre et étouffant qu’il fût, ce toit de fortune nous protégea du feu et des pierres que ces fils de chiens nous lançaient tandis que nous nous élancions à l’assaut des murailles.

Plus moyen de retourner en arrière cette fois, et le vieux Dandolo, casqué et cuirassé malgré sa cécité et ses quatre-vingt-dix ans, se tenait l’épée brandie sur le gaillard d’avant du plus gros des navires. À ses côtés, son fidèle Viking, un vieillard lui aussi, mais solide comme l’airain.

Le soleil dardait ses rayons et le vent du nord qui soufflait en puissantes rafales ne cessait de changer de direction. C’était un bon jour pour une bataille, après une aussi longue attente, et, quand le vent se mit enfin à souffler plein nord, il poussa nos galères et tout notre équipage vers le rivage.

An de grâce 1204

Constantinople, lundi 12 avril, enfin une attaque. Tout d’abord, je dois parler du bruit : les hurlements, le tonnerre, l’odeur du goudron en flammes et de la chair brûlée, partout autour de nous. Comme si toute la fureur de la Sainte Église catholique s’était déchaînée.

La femme, genre dondon, prit la parole :
— Désolés de vous déranger, dit-elle avec un accent anglais tranchant et poli. Mais nous avons quelques questions.
— Non, mais, qu’est-ce qui vous… ?
L’un des gros bras cagoulés s’avança et balança un coup de crosse à Taylor qui s’effondra à terre.
— Doucement avec la marchandise, dit la femme.
Un autre sbire s’approcha d’Adkins, qui grimaça, s’attendant à recevoir un coup, mais l’homme lui jeta un sac de toile sur la tête, puis resserra sauvagement le lien autour de son cou.
Adkins sentit un coup sur sa nuque. Puis tout devint noir.