AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Deleatur


Voilà un Giono intimidant... D'abord parce qu'il fait ses six-cent-cinquante pages en petits caractères, détail qui ne me semble pas si fréquent dans l'oeuvre de l'auteur. Ensuite parce qu'il s'écarte assez nettement de ses premiers romans paysans (la trilogie de Pan). Enfin, parce que Giono lui-même l'a plus ou moins renié, ce qui complique un peu l'éloge...
L'action se déroule dans le Trièves, tout au sud de l'Isère. On ne se situe plus sur les plateaux ou les collines des Alpes de Haute-Provence, mais déjà en haute-montagne, celle que Giono retrouvera plus tard pour Un roi sans divertissement. Ni cigales ni débauche de soleil, ici : rien que les brumes pénétrantes de l'automne. Un automne inquiétant, trop humide, pas assez froid pour que le gel fasse son oeuvre de salubrité. Et tout cela sous la menace d'un monstre : le glacier qui culmine là-haut, au-dessus d'une poignée de villages isolés. Or le glacier fond ; il travaille et prépare un mauvais coup, il a déjà pris des hommes du village, autrefois. Voilà le décor planté, sombre, grandiose et oppressant.
Si le style de Giono reste inimitable, il est aussi transplanté dans un univers différent. Peut-être est-ce l'origine de cette impression d'étrangeté que j'ai ressentie tout au long de ma lecture. Les mots avec lesquels l'auteur peint la nature sont toujours aussi extraordinaires, c'est le tableau qui a changé : le livre entier est placé sous le signe de l'ombre, de l'eau et de la boue, dans un pays où le soleil ne se lève jamais. L'étrangeté peut même confiner au fantastique, lorsque le glacier se rompt brutalement et que son lac interne dévaste la vallée en un cataclysme qui épouvante le lecteur. L'eau monte et engloutit les villages ; les survivants fuient comme ils le peuvent, se rassemblent et se réfugient sur un promontoire cerné de toutes parts. Il faut s'organiser pour survivre dans le dénuement absolu. A la faveur de l'angoisse générale, de vieilles tensions refont surface. Ces paysans, néanmoins, peuvent bien s'avouer écrasés par la puissance de la nature : ils la connaissent aussi comme leur poche et n'ont pas encore basculé dans l'individualisme. Leur sens pratique et leur vieux fond de solidarité leur permettront de s'en tirer, grâce notamment au courage et au dévouement du personnage qui s'impose, page après page : Saint-Jean. La plume de Giono atteint à mon avis des sommets dans la peinture de cette apocalypse froide, où l'eau indifférente se transforme en un néant proprement terrifiant, et où la petite communauté contemple, désemparée, la disparition de son univers.
Je ne vais pas en rajouter dans l'analyse, ni gloser sur la lecture biblique, et même christique, que l'on peut faire du livre. Je ne m'interroge pas non plus sur la place qu'il faut attribuer à ce roman dans le panthéon de Giono. Non : ce qui m'a frappé pendant ma lecture, tandis que nous avons entendu parler tout cet été de canicule, de sécheresse, de forêts en feu, de débâcle record au Groenland, etc, c'est l'actualité finalement sidérante de ce texte. Nous aussi regardons monter la menace, inexorable. Mais que nous reste-t-il de notre connaissance de la nature, et de notre adaptabilité à ses excès ? Quelles ressources trouverons-nous dans ce qui nous reste de sens pratique, et quelles valeurs de solidarité conserverons-nous enfin pour faire face ?
Commenter  J’apprécie          5312



Ont apprécié cette critique (45)voir plus




{* *}