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Critique de Lamifranz


« le Grand troupeau » mêle à la tradition provençale des premiers écrits les souvenirs de guerre de l'auteur. Amalgame étrange, mais pas étonnant : le titre l'explique : la veille de la mobilisation, les bergers doivent redescendre des alpages avec leurs bêtes, pour pouvoir prendre leur place dans la grande tragédie qui se prépare : « le Grand troupeau » c'est autant celui qui descend de la montagne, que celui qui va se faire tuer dans les champs de bataille de la Champagne, des Ardennes ou de la Somme.
Dans sa préface aux « Carnets de moleskine » de son ami Lucien Jacques, Jean Giono écrivait :
« Nous « avions fait » les Eparges, Verdun, la prise de Noyon, le siège de Saint-Quentin, la Somme avec les Anglais, c'est-à-dire sans les Anglais, et la boucherie en plein soleil des attaques Nivelle au Chemin des Dames »
Il ajoute : « J'ai vingt-deux ans et j'ai peur »
A la lecture de ces faits de guerre, on se rend compte que Giono n'était pas un « planqué » : aligner les Eparges, Verdun, la Somme et le Chemin des Dames, c'est le genre d'itinéraire qui vous marque pour la vie – à condition d'en revenir vivant.
Giono a donc été un des moutons de ce « grand troupeau ». Et c'est cette étrange et douloureuse transhumance qu'il nous raconte.
Le roman – est-ce bien un roman ? - est construit bizarrement : après une majestueuse entrée en scène avec ce troupeau qui descend des alpages, les scènes de guerre alternent avec les scènes d'arrière-front, au loin, au pays. le contraste entre ces scènes est voulu : elles se répondent d'écho en écho, comme les sonneries aux morts sur les champs de batailles. Dans les fermes désertées par les hommes, les femmes font le travail avec courage et endurance, et le soir retrouvent leur solitude dans le grand lit où la place de l'homme reste béante. Là-haut, on pense aussi aux femmes, mais la guerre est là qui occupe les corps et les esprits : Giono ne fait pas l'historien, (un livre n'y suffirait pas) mais il raconte la guerre à hauteur d'homme : la boue, le sang, la mort, l'amitié, la peur… Tout ce que vous avez vu et lu chez Genevoix, Dorgelès, Barbusse, Chevallier et tant d'autres, y compris chez Remarque et Junger, vous retrouverez tout ici, Giono ne cache rien, pas même les mutilations ni les désertions. Mais c'est pour mieux dénoncer la guerre et ses atrocités : Giono est un pacifiste viscéral (on peut le comprendre vu les endroits où il est passé !).
Et Giono reste romancier. Et Giono reste poète
« le Grand troupeau » est un poème de la terre, de l'eau de l'air, du feu ; le fer y devient un cinquième élément qui remplit le ciel d'ailes meurtrières, et les griffes de la mitrailleuse grattent les bords des trous où se réfugient les proies humaines… Cependant, les couleurs du printemps, l'éblouissement de l'été, le tintamarre du vent d'automne continuent à saouler de vie ceux qui restent fidèles à la voix de Pan. Giono choisit pour son dernier chapitre, d'éloigner les terreurs de l'Apocalypse et de mettre dans la bouche du vieux berger la salutation qui accueille l'enfant nouveau-né dans le monde de la paix, celui où vivent réconciliés les plantes, les bêtes et les hommes (Janine et Lucien Miallet, présentation du « Grand troupeau » dans la Bibliothèque de la Pléiade).
Un Giono indispensable (comme beaucoup de livres de Giono).
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