Le vin des rues

Tout imprévue, la mort de Gégène annoncée un dimanche matin sema quelques consternations. Un ancien ami à lui, retrouvé on ne sait trop comment, se permettait de faire une quête pour la couronne, ce qui fit dire à un pépère :
- Même mort il faut encore le raquer.
Enfin, la coutume le veut, chacun allongea ce qu'il jugea bon, avec un gros soupir moitié de chagrin, moitié de soulagement.

Souffrant de troubles cardiaques, qu'il dit, il vit les pieds dans l'eau sous prétexte que cette thérapeutique, recommandée par qui, je me demande, facilite la circulation. La gueule d'un mec égaré dans son estanco en découvrant une tête au ras du zinc, comme parée sur un plateau, un corps tassé derrière le rade, sur un tabouret, et deux panard bien blancs marinant dans l'eau d'une cuvette, on n'ose pas y penser. Ça ne risque pas d'arriver et c'est dommage pour la rigolade, car à part les habitués, personne de convenable, ou paraissant tel, ne s'est encore fourvoyé dans ce tapis de cour des miracles où l'on reste entre soi.

L'une après l'autre elles sont passées à la casserole pour se retrouver un matin avec la devanture qui se gondole.

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Téléphoner, c'était évidemment une façon de parler, pas plus d'appareil chez lui que de nèfles aux nichons. Tu te plantais sur le trottoir face à sa maison, et la tête au ciel tu appelais Maurice. S'il était là sa frime coiffée comme un balai O'Cédar apparaissait par une étroite fenêtre et il descendait après avoir reconnu son monde.

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-Tout doux, dit une fille, Marie la Normande, une bonne pote qui s'envoyait solitaire son habituel rosé treize degrés, celui qui donne toujours soif.

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La Seine ne dort jamais dans sa traversée de Paris la nuit, les aspirants à la noyade tombent des ponts comme des pommes à la saison.

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Hareng, elle l'était pourtant, gouine comme une louve de Sibérie, elle avait deux girondes qui travaillaient pour elle sur le Topol. Chaque soir, rue du Cygne, elle attendait le moment de relever les compteurs. Les mômes, deux vraies gosselines, des laitues quoi, arrivaient quelquefois ensemble. D'autres fois, une seulement, l'absente avait un couché. De n'importe quelle façon, Mado gardait l'une ou l'autre pour son usage, sautait dans un maraudeur et rentrait au bercail.

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Personne ne se ressemble sous l'uniforme de la nuit. Le coeur ne sais pas se déguiser, il demeure ce qu'on lui a appris à être.

« La vie est un acte si court » m'expliquait un jour un copain, tu parles, la poésie est toujours de sortie, ou n'est valable que pour celui qui n'est pas dans le bain. Pourtant, tous les poèmes qui ne s'écrivent pas, tous ceux que des mots inventés sur une page blanche n'arrivent pas à consacrer, ne sont-ils pas les meilleurs ? Personne ne le saura jamais. Il n'y a qu'à voir, qu'à écouter. Ils fleurissent les nuits d'été, en forme d'étoile filante. Les yeux au ciel, ils sont déjà passés c'est tout, mais suffisant, tout essai de justification est une connerie.

L'« âme du vin » au fond n'est pas tellement une rigolade, c'est mieux que ça, comme un trait d'union entre deux hommes, une sorte de rite secret, de prière, jamais à sens unique. [...] Le vin est l'uniforme d'une sorte de légion de la grande ville - en argot un litre s'appelle aussi un légionnaire, c'est tout dire.