Citations sur Éloge pour une cuisine de province - La vie promise (16)
Et si le poème, c’était plus simplement
ce qui reste en souffrance dans la déchirure
du ciel, comme une valise sans couleur
un gant dans l’herbe – et le rayon de soleil
s’amuse avec les serrures, l’agrafe en fer blanc
cependant que nous restons en retrait
empêtrés dans nos ombres
comme un enfant grandi trop vite
et qui ne sait plus rire.
Vers l’ouest, avec les derniers rayons roses,
En suivant bien la flèche sur le bas trop tendu
De la nuit qui s’est penchée pour mettre
L’avion dans sa poche, voilà
Ce qui te tient encore, les yeux au ciel, debout
Sur ce parking où tu effiles dans le gris
Tes voiles de Colomb, tes routes de la soie
Et du sel et du seul, en attendant.
En attendant que tout finisse (tu dis tout
Comme celui qui siffle pour garder son ombre
À ses côtés dans la ruelle obscure) tout : ce baiser
- À peine – du couchant sur les lèvres
De celle qui s’en va en te laissant le quai.
FAMINE
Certains dimanches d'été, le ciel descend sur terre et tire au cordeau des routes pour les familles sans auto, les chevaux sans maître, les filles gommées des calepins.
Sans bouger, chacun voyage à son rythme dans un pays rendu d'avance, jusqu'à ce que, le soir tombant, il faille se lever, rentrer le banc qui fraîchit, passer la barrière, le seuil, le jeu des ombres, son propre corps et retrouver enfin son visage dans la glace comme cette toile depuis des siècles dans la chambre du peintre.
Non, vraiment la douceur des mots t'égare...
NUAGES
Dits, dédits, amours, méprises,
et jour et nuit, l’un dans l’autre,
le blanc valant le noir et tous
fil blanc perdu dans les bois,
fleuve plein de gestes et d’appels,
mare aux canards miteux — tous
s’en vont finir dans le pur océan
et nul n’y revendique : moi, moi,
moi, comme ici, nul
qui cherche à bâtir pour lui seul
une barque pérenne, un nom
contre le temps et gravé
dans la pierre, nul
car le ciel est à eux, qu’ils dénouent
et font bouger, les nuages.
LE PEINTRE
Lui qui avance les mains nues les paupières scellées
sur la scène déserte et sous les projecteurs
le temps ne l’arrête pas ni le vide, il marche
depuis des siècles vers un mur connu de lui seul
comme l’arbre qu’un ciel obstiné tire vers l’horizon
et s’il s’écarte parfois c’est pour laisser à sa place
une fenêtre ouverte où quelqu’un appelle invisible
et chacun croit l’entendre dans sa langue
LES PROIES
Les villages de schiste sombre et froid
laissent courir aussi des filles aux lèvres peintes
et souvent le poing des vieux laboureurs s’écrase
sur la table de l’unique bistrot
élargissant d’un coup l’espace de l’attente
où la lumière se rassemble, frileuse
et comme prise au piège d’une lampe
mais il est midi à peine et dans la rue
un chat guette une proie que personne ne voit
Peut-être bien …
Peut-être bien que les hommes après tout
ne sont pas faits pour vivre dans les maisons
mais dans les arbres
et encore
pas comme l’écureuil ou le singe d’Afrique
qui sont des enfants espiègles et craintifs
mais comme les oiseaux
et encore
pas comme le loriot bavard ou le geai plus rogue
qu’un chien de ferme et plus insupportable
qu’une porte qui grince
mais comme les oiseaux de haute volée de longs
voyages
qui n’y viennent que pour le repos
échanger quelques nouvelles lier connaissance
et prendre un peu de sang nouveau
avant de s’enfoncer dans le silence et l’anonyme
gloire du ciel
loin
[…]
Et si le poème, c'était plus simplement
ce qui reste en souffrance dans la déchirure
du ciel, comme une valise sans couleur
un gant dans l'herbe - et le rayon de soleil
s'amuse avec les serrures, l'agrafe en fer-blanc
cependant que nous restons en retrait
empêtrés dans nos ombres
comme un enfant grandi trop vite
et qui ne sait plus rire.
Crépuscule, 4
Ce peu de mots ajustés aux choses de toujours
ce questionnement sans fin des gosses dans la journée
Ces silences plus longs maintenant, à l’approche du soir
comme le soleil traversant la chambre vide
sur des patins, tout cela qui se perd
entre les lames du parquet, les pas, les rides
a fini par tisser la toile inaccessible
qui drape chacun des gestes du vieux couple
lui donne cet air absent des statues
prenant le frais dans la cour du musée
- et nul ne voit leurs ombres se confondre
enjamber le haut mur du temps
mais seulement l’échelle aux pieds de la nuit
l’échelle sans barreaux ni montants
d’une vie petite arrivée à son terme.