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L'histoire humaine d'une ville en souffrance économique
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Connaissez-vous la ville ouvrière de Janesville, située au Wisconsin? Ressemblant à Detroit, une cité industrielle, fleuron du géant automobile Général Motors . On se souvenait du grand déclin de Détroit dans les années 90. Ici, à Janesville, en 2008, en pleine crise économique, l'entreprise a fermé ses portes....pour toujours.
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Amy Goldstein, journaliste d'investigation, durant 6 ans, a suivi tous ces habitants gravitant autour de l'usine. Avec discrétion et empathie, elle va donner la voix à toutes ces personnes qui ont subi cette crise de plein fouet.
On y rencontrera des employés, des travailleurs sociaux, des syndicalistes, les politiques, et toutes les personnes dépendant indirectement de cette fermeture.
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Dans ce récit de non-fiction, l'auteure a su dégager un témoignage vivant, authentique et profondément humain. En individualisant les voix dans le récit (avec les noms de chacun), elle a retranscrit la souffrance (et la ténacité) collective.
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J'ai été complètement happée par cette histoire. Chacun, à son niveau, va essayer de s'en sortir. Se reconstruire, se former. Du côté politique, on cherche à relancer l'économie en attirant des entreprises par exemple.
On apprend beaucoup sur l'économie américaine (sur sa fragilité). Puis par effet de domino qui va même impacter les enfants. (cette nouvelle génération qui ne dispose plus de protection sociale).
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Par l'entremise de la solidarité, du bien commun et des ressources insoupçonnées, cette communauté va endiguer les catastrophes.
Un bel exemple d'optimisme !
Un portrait émouvant de la classe ouvrière d'aujourd'hui.
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Janesville, Wisconsin. Une petite ville qui n'a jamais connu de grosse appréhension concernant la bonne santé de son économie et le teint éclatant de son marché du travail. Pas de raison de stresser en effet quand on abrite en son sein une des fameuses usines General Motors, firme aux reins solides s'il en est.

Pas d'angoisse pour Janesville donc et pourtant des alarmes elle en a connu ; à chaque effondrement de l'économie américaine (et donc mondiale), GM et les usines qui n'existaient que grâce à cette entreprise (fabrique de sièges auto etc.) tremblaient sur leur fondations mais finissaient toujours par sortir la tête du delco et l'industrie automobile repartait de plus belle. Aux inquiétudes succédaient toujours le soulagement... jusqu'à cette date fatidique du 23 décembre 2008 où GM a finalement fermé ses portes, définitivement.
Difficile à avaler pour les habitants et travailleurs du coin. Longtemps ils ont cru, voulu croire, se sont attachés à un vain mais solide espoir que General Motors, à l'instar de ses traversées du désert précédentes, finirait par trouver une solution (comme accepter de laisser tomber la fabrication de gros 4x4 et autres pick-ups pour se concentrer sur des voitures plus petites et de meilleur marché) malheureusement, cette espérance devait faire long feu et plus jamais les portes de cette usine ne se sont rouvertes.
Un coup dur pour une ville dont presque tous les citoyens étaient rattachés d'une façon ou d'une autre à ce géant de l'automobile.

Ne pouvant plus compter sur la bonne fortune de leur petite ville, chacun a tenté de s'en sortir du mieux possible, certains en reprenant des études, d'autres en acceptant des métiers sous payés, et d'autres encore en trouvant un nouveau boulot à quelques centaines de kilomètres de chez eux.
Entre la solidarité qui a parfois montré ses limites (coupe dans les budgets ne permettant plus d'aider grand monde) et la montée d'une droite dure dans une ville jusque là fièrement démocrate, c'est avec beaucoup d'empathie et d'impartialité qu'Amy Goldstein nous raconte la récession de tout un pays à travers le prisme d'une petite ville des états-unis jusque là, et presque insolemment, épargnée par les crises économiques.
Malheureusement ce qu'il s'est passé à Janesville n'est pas, et de loin, une tragédie isolée. Toutes les villes dont les grandes industries ont mis la clef sous la porte ou ont délocalisé se sont retrouvées comme ces habitants du Wisconsin, à essayer de trouver des solutions quand parfois il n'y en avait plus. Malgré cela, peu ont baissés les bras comme Amy Goldstein nous le démontre dans ce livre qui détaille les cinq années qui ont suivi ce tremblement de terre industriel.
Un lustre au bout duquel les républicains arrivèrent à cette magnifique conclusion : Ça a été difficile mais Janesville s'est relevée.
Ah bon ?!
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Selon une citation que l'on attibue (peut-être à tort) à Staline, "la mort d'une personne est une tragédie, la mort d'un million de personnes, une statistique". En entamant la lecture de ce livre, on se dit qu'on pourrait tout à fait remplacer "mort" par "licenciement", tant ce dernier sous-tend souvent la mort économique, ou du moins la survie - et l'indifférence qui souvent va avec.

En suivant de près, sur plusieurs années, les conséquences de la fermeture d'une usine automobile General Motors à Janesville, Wisconsin, la journaliste Amy Goldstein se donne justement pour mission de sortir de la statistique et de dépeindre des destins et trajectoires individuels, au sein d'une communauté très soudée, typiquement américaine dans ses excès et ses espoirs.

On suit ainsi le parcours de ces milliers d'anciens GMeurs et de tous leurs concitoyens appauvris, de 2008 à 2016, dans leur parcours pour sortir d'une crise économique ayant balayé les convictions d'une classe moyenne supérieure qui se vivait comme à l'abri. 'Janesville : une histoire américaine' est bien plus qu'un énième livre sur une crise économique : c'est un texte plein d'humanité et de lucidité sur ce qui fait et peut défaire une communauté, sur l'engagement individuel lorsque l'Etat ignore les plus démunis, sur ce qui nous pousse à garder espoir au-delà des difficultés du quotidien, de la galère.

Un travail d'enquête précieux, remarquable, dont on attend avec impatience un équivalent français ! Et il y a largement matière...
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2008, Janesville, Wisconsin, l'usine General Motors arrête  son unité de production laissant  sur le carreau plusieurs milliers d'ouvriers et partenaires.
Difficile d' évoquer un texte aussi fort, sans rapporter certains faits.
«Le jour où la Maison Blanche débarque en ville». S'il me fallait ne retenir qu'un chapitre de ce reportage ce serait celui-là. Il résume mieux que tout autre l'inertie de l'État, des états face aux situations locales de crise.
Dans ce vingt-troisième chapitre, Bob, le responsable du Job Center (agence pour l'emploi), attend l'arrivée d'un brillant économiste nommé par Washington sur les questions de licenciement /reconversion de l'industrie automobile. La classe politique nationale est en effet très préoccupée et à la recherche de solutions. Cela fait un an que Bob travaille à cette visite d'une journée. Lorsque le délégué débarque à Janesville la visite d'une journée a été réduite à trois heures et demie. Un tour d'horizon est dressé par les différents partenaires puis Bob, motivé, présente onze idées de subvention. le délégué, en tournée de consultation, s'engage à donner un coup de pouce, à développer des « partenariats». Reste à savoir pour Bob à quel interlocuteur s'adresser.. . Mais ce délégué est déjà sur le départ. Il quitte l'administration d'Obama quelques semaines plus tard pour une autre affectation. Un an s'écoule avant que le poste soit à nouveau pourvu. Bob ne reçoit aucun conseil, aucun argent arrive. Au bout d'un an Bob et son nouvel "interlocuteur cessent tout bonnement d'échanger."
Distribuer des milliards à des sociétés en difficulté s'avère beaucoup plus aisé qu'accompagner les communautés en souffrance . Malgré une bonne volonté affichée par l'état, les résultats ne suivent pas.
Les ouvriers, travailleurs choyés jusqu'ici et membres de la classe moyenne, sont renvoyés dans leurs foyers. Chacun tentera avec difficulté de rebondir afin de maintenir son niveau de vie. La plupart enchaîneront les boulots, la plupart du temps payés moitié moins, plusieurs tenteront des formations et des reconversions, avec des fortunes très diverses. D'autres finiront par accepter des mutations à des centaines de km de Janesville et deviendront des travailleurs exilés la semaine, des voyageurs de retour dans leur ville le week-end.
C'est le parcours d'une Amérique appauvrie. Tous les acteurs qui gravitent autour de ce drame sont présents, les institutions politiques et sociales, les syndicats, les associations. Tout cela est tristement classique et bien connu. Outre la très notoire insuffisance des organismes de santé accompagnant les personnes pauvres je retiendrai encore une donnée plus dramatique encore  : près de 1000 enfants se retrouvent sans endroit fixe où dormir ; 170 sont tout seuls sans adulte.

« Toute la distance qui sépare le Rêve américain de la réalité américaine ».Bruce Springsteen, p. 271.

On suit de nombreux personnages qui deviennent familiers. On lit ce portrait d'une Amérique en déshérence comme on lirait un roman. On reste accroché au sort des protagonistes. Amy Goldstein ne condamne pas, ne juge pas, elle constate et rend compte des non-dits sans accabler. Elle relate et tente de nous faire ressentir les difficultés que chacun rencontre. Son approche évite le triple écueil du jugement péremptoire mais aussi celui de l'engagement militant ou de l' apitoiement larmoyant. A contrario elle alterne les approches et la diversité des réactions. Un grand écart selon l'endroit où l'on se situe dans la chaîne sociale. Seule cible clairement identifiée : Scott Walker, gouverneur républicain tentant de monter les communautés entre elles et de faire voter une loi vouée à affaiblir la force des travailleurs et des syndicats. Cela pourrait être l'objet d'un documentaire filmé. Il aurait suivi et filmé pendant 7 ans ces rescapés de Général Motors. En 2016 le Wisconsin, terre traditionnellement démocrate, bascule dans le camp républicain. En dépit de tout, à Janesville, frappée par la catastrophe économique,  reste fidèle à ses anciennes valeurs, l'identité démocrate s'est maintenue.
Un témoignage accablant.
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Janesville est un livre documentaire, qui complète parfaitement la lecture de "Nomadland" de Jessica Bruder.
Ces 2 livres ont en point commun d'étudier les mécanismes de l'effondrement du rêve américain, Nomadland s'attachant à dénoncer une nouvelle forme de précarité qui s'installe petit à petit au USA depuis la crise financière de 2008, à savoir les travailleurs (âgés) pauvres et nomades; Janesville quant à lui, étudie la façon dont une ville industrielle du Nord des USA, tente de résister à l'installation de la pauvreté dans sa communauté lorsque l'usine General Motors ferme ses portes.
Ce qui est passionnant, c'est la façon dont l'auteur, Amy Goldstein, décrypte les conséquences de cette fermeture de l'usine qui pourvoyait à la majeure partie des emplois des habitants de la ville.
L'histoire de Janesville c'est l'histoire de l'industrialisation des USA, et du formidable ressort économique qui en est le résultat, notamment dans la période d'après guerre.
Les ouvriers de GM sont dans cette usine quasi de père en fils, les uns faisant entrer les autres par une forme de parrainage. le boulot n'est pas épanouissant, certes, c'est du travail à la chaîne mais le salaire est très bon, les avantages nombreux, notamment les congés et l'assurance sociale. Une tradition syndicaliste est très forte dans l'usine, et au sein de Janesville, c'est ce qui fait qu'à la fermeture de l'usine, un élan de solidarité voit le jour, il n'est pas question de laisser tant de monde sur la carreaux.
Amy Goldstein déploie les conséquences économiques, politiques, sociaux, sociologiques (l'identité ouvrière) d'un telle désastre, il n'est pas question que de chômage.
J'ai beaucoup aimé ce livre qui permet de comprendre la façon dont les américains sont bercés par ce rêve dont on les a nourris depuis toujours, à savoir l'idée selon laquelle une personne, d'où qu'elle vienne, peut toujours atteindre une vie meilleure, du confort, de la sécurité.
Janesville parle de ce rêve qui devient désillusion.
J'ai été surprise par la façon dont les gens retournent faire des études, parmi eux les moins qualifiés, la façon dont le collectif se construit autour de ce malheur.
Mais on y voit aussi la désaffiliation du collectif, avec le politique qui s'en mêle, les intérêts des uns qui nient l'existence ardue des autres.
C'est un beau documentaire, avec des portraits de gens comme vous et moi qui ont rêvé et qui désormais font tout pour s'en sortir.
A découvrir pour ceux qui, comme moi, s'interrogent sur le fonctionnement de cette Amérique capable du meilleur comme du pire.
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” Tandis que es milliers de travailleurs perdaient leur emploi et que Mike s'inquiétait, la nuit, de ce qui leur arrivait à tous, il portait en lui une autre information : quand le quatrième dernier jour arriverait, ce serait son tour. (...) il a regardé sa petite équipe démanteler l'usine, pièce par pièce, une chaîne de montage après l'autre. L'usine a disparu un peu plus chaque jour jusqu'à être désormais vide, ce qui s'apparente au sentiment intérieur de Mike. 
 Ce matin, il a dit au revoir à chaque membre de l'équipe, conscient qu'il n'a pas été aussi proche d'eux que beaucoup d'autres qui sont déjà partis. C'est l'après-midi de son dernier jour et il ne veut pas être coincé par les longues conversations. Alors il a ce long regard depuis la porte et, après dix-huit années passées chez Lear, il s'en va. “







Le 23 décembre 2008, en pleine crise économique, la dernière voiture General Motors produite à l'usine de Janesville sort de la chaîne de montage, avant que celle-ci ferme définitivement ses portes. 
Des milliers d'emplois disparaissent soudainement, des familles se retrouvent en grande difficulté morale et financière, la ville souffre mais déjà un formidable élan de solidarité se met en place et personne ne restera sur le carreau, même si l'usine restera fermée.







” Nous devons être fiers de notre communauté, a écrit Mary, et nous devons tous êtres des Ambassadeurs de l'optimisme. “



Grâce aux courages d'hommes et de femmes, Janesville conservera l'image d'une ville où il fait bon vivre.







” Au moment de la fermeture de l'usine, les États-Unis connaissaient une crise financière écrasante qui a laissé une région frappée par les suppressions d'emplois et les baisses de salaire. Pourtant, les habitants de Janesville croyaient que leur futur serait à l'image de leur passé, qu'ils pourraient façonner leur destin. Ils avaient des raisons d'y croire. “





Ce que j'en dis :

À travers ce livre, Amy Goldstein nous offre un formidable récit, un incroyable témoignage qui se lit comme un roman, absolument passionnant. 

Derrière des faits historiques et économiques, c'est avant tout une histoire humaine. 
L'auteure nous offre une radiographie de cette ville plongée dans la tourmente en donnant la voix, jour après jour à tous les habitants.
Qu'ils soient employés, licenciés, travailleurs sociaux, entrepreneurs locaux, figures syndicalistes ou politiques, formateurs, hommes, femmes, enfants, tous prennent la parole. Ils vont tenter de donner un nouveau sens à leur vie quitte à se réinventer en puissant au plus profond d'eux-mêmes. 
Face à une telle crise financière il est difficile pour chacun de garder le moral, mais une entraide incroyable s'organise jour après jour pour combattre cet enchaînement de catastrophes qui suit la fermeture de l'usine. 



Amy Goldstein réussit à brosser le portrait d'une classe ouvrière avec une grande humanité, beaucoup d'humilité et d'empathie, et une bonne dose d'émotions. 

Un récit authentique, magnifiquement écrit, une histoire américaine aussi intéressante que poignante que je vous encourage à découvrir.

Un des dix livres préférés du Président Obama en 2017
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Lien : https://dealerdelignes.wordp..
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Janesville, Wisconsin.
En ce 23 décembre 2008 une toute dernière Chevrolet Tahoe sort des chaines de l'usine d'assemblage de General Motors, sous les caméras du monde entier ou presque.
Il est vrai que l'automobile qui était un fleuron de l'industrie américaine est en proie aux pires difficultés et que le monde entier vit une crise économique, qui va laisser des millions de gens sur le bord de la route.
A Janesville, c'est en premier lieu les employés de GM et de ses sous-traitants qui ne comprennent pas ce qui leur arrive et sont K.O. debout.
Il faut dire que Janesville et GM c'est une histoire ancienne, la première Chevrolet y a été produite en 1923.
Ce sont donc des générations entières d'hommes et de femmes qui ont travaillé pour GM le plus gros employeur de la ville qui a compté plus de 7000 ouvriers.
Mais tous en sont persuadés, ce n'est qu'un mauvais cap à passer l'usine va de nouveau ouvrir, tout comme elle l'a fait lors de la Grande Dépression quand il y avait eu une année entière de fermeture, avant qu'un renouveau n'entraine GM et Janesville dans une nouvelle histoire.
Sauf que cette fois, la fermeture est définitive.
Amy Goldstein, journaliste au Washington Post, nous livre ici l'histoire d'hommes, de femmes et d'enfants qui vont vivre une descente aux enfers vertigineuse, il faut dire que presque toutes les familles de la ville travaillaient pour GM ou l'un de ses sous-traitants, et parfois c'était même toute la famille, depuis les grands-parents jusqu'aux petits-enfants.
Et lorsque qu'aux USA vous perdez votre emploi, vous perdez également vos droits à l'assurance sociale et bien souvent également vos droits à la retraite.
C'est aussi l'histoire d'une ville et d'une communauté qui tentent de se reconstruire, alors que même les enseignants constatent qu'un grand nombre de leurs élèves ne mangent plus à leur faim et que parfois ils sont même totalement abandonnés à leur sort et sont à la rue.
Ou lorsque le rêve américain est devenu un cauchemar
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Formidable reportage au long cours dans lequel Amy Goldstein, journaliste au Washington Post, relate l'histoire humaine de Janesville, cette ville industrielle du Wisconsin qui tente de se relever après la fermeture d'une usine General Motors.

GM a commencé à produire des Chevrolet à Janesville le jour de la Saint Valentin 1923. Pendant huit décennies, cette usine, tel un puissant sorcier, a régi les rythmes de la ville. La station de radio synchronisait ses flashs d'information sur les horaires des changements d'équipe... Et puis, le 23 décembre 2008, en pleine crise économique, la chaine de montage a fermé. Pour toujours.

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Janesville, Wisconsin, Etats-Unis, décembre 2008.
Alors que l'Amérique bascule dans ce qu'on nommera par la suite la Grande Récession, conséquence des subprimes et de leur titrisation à outrance, la fabrication automobile connait en cette petite ville de 63 000 habitants un revers de fortune. La grande usine General Motors, s'étalant sur 446 000m2 est, dès le 24 décembre, « mise en veille » par le siège. Quatre mille emplois disparaissent. Dans cette communauté dynamique, la nouvelle plonge chacun dans un profond désarroi.
Avant la première guerre mondiale, un certain Joseph Craig parvient à convaincre GM de s'installer en ville pour y construire des tracteurs. Même si l'usine a été fermée dans le passé ou sa production dérivée (des obus pendant la deuxième guerre mondiale), elle s'est toujours remise en route entretenant des générations de GMeurs et forgeant de cette manière une classe moyenne solide. Car au-delà du prestige de produire des voitures, les GMeurs sont très bien payés (28 dollars de l'heure) et bénéficient de nombreux avantages. L'industrie automobile voit ses opportunités diminuer dès le début des années 70 et Janesville a tenu le choc quand ailleurs tout semblait compromis.
Mais cette fois-ci, c'est différent. Janesville subit de plein fouet la crise de GM qui a trop longtemps compté sur les ventes de pick up et de 4X4, et, qui, pour ne pas être contrainte à un dépôt de bilan envisage 30 000 suppressions d'emplois sur tout le territoire. Les 4x4 sont gourmands en énergie et à l'heure où l'écologie s'invite dans tous les débats, les familles boudent ces grosses cylindrées.
Face à cette mise en veille de l'usine, la communauté va alors mobiliser toutes ses ressources afin de stabiliser la situation économique et perdurer la prospérité de cette petite ville qu'il faut réinventer.

Amy Goldstein, journaliste au Washington Post, a posé ses valises maintes fois pendant sept ans dans Janesville pour raconter cette histoire américaine. La grande force de ce récit, c'est de mettre en avant des habitants qui sont confrontés de près ou de loin à la fermeture de l'usine. Là où la presse écrite et télévisuelle communiquent en chiffres, Amy Goldstein narrent des destins. Et cela n'a pas du tout le même impact. Quatre mille postes en moins, ça semble terrible mais ça l'est encore plus quand on prend connaissance des sentiments qui envahissent les protagonistes, des difficultés et choix auxquels ils sont confrontés jour après jour. En six parties, correspondant chacune à une année, la journaliste dresse le portrait de ces hommes, femmes, adolescents qui subissent la perte pas uniquement de leur travail ou de celui de leurs proches, mais de leur confort de vie, de leur maison, d'une stabilité, d'une sérénité en l'avenir. La fermeture de GM, c'est aussi la fermeture des usines qui fournissent GM, et ces chiffres-là ne sont pas toujours appréhendables pour les citoyens. L'auteur, elle, ne les oublient pas. On prend alors toute la mesure d'une telle catastrophe pour la ville. Elle raconte la réalité du chômage. Et durant cette Grande Récession, c'est près de neuf millions de travailleurs qui vont perdre leur emploi dans tout le pays, c'est aussi un taux de suicide multiplié par quatre sur les deux premières années. Son approche intimiste des événements touchant les habitants de Janesville permet de réaliser les conséquences des fermetures et licenciements au-delà des visions économiques et politiques qui nous parviennent dans la presse.
Ce livre c'est aussi une histoire américaine parce qu'au travers de tous les protagonistes, assistantes sociales, enseignants, médecins, entrepreneurs, syndicalistes, on découvre un formidable esprit de solidarité et une envie d'entreprendre et de réussir collectivement. Tout le monde apporte son aide. Cette notion de communauté, c'est très américain. Il n'y a pas d'attentisme. Il faut réagir. En France, une usine ferme, l'avenir se projette en une vision individuelle et non collective. Pôle Emploi prend le relais pour chacun. Les job centers et les unions de syndicats américains ont de la latitude pour réfléchir à des projets alternatifs, pour partir à la chasse aux subventions et proposer des programmes de reconversion. Les entrepreneurs locaux mettent à la main à la poche pour favoriser l'implantation de nouveaux venus qui pourraient redonner un nouvel élan économique. Les assistantes sociales travaillent sur des projets de foyers pour les enfants abandonnés par des parents qui ont perdu leur travail ou sont partis travailler à des centaines de kilomètres. Des enseignants mettent en place des « réserves » de produits de première nécessité pour les étudiants dont les parents sont chômeurs.
Malgré tout, plus on progresse dans la lecture, plus l'esprit de solidarité de Janesville fléchit, la grogne envers les hommes politiques gagne les citoyens devant l'application de nouvelles lois antisyndicales, ceux-là profitant de l'aubaine de l'augmentation du chômage pour affaiblir les associations de travailleurs et syndicats ; plus l'espoir d'une reconversion réussie s'amenuise, parce que malgré l'envie de donner le meilleur de soi-même, le monde du travail actuel ne présente plus les avantages gagnés par les anciennes générations ; plus le peuple se trouve divisé. Il y a ceux qui s'en sont sortis, que la crise n'a pas affectés et les autres. Un fossé se creuse, un fossé qui profite au populisme dont l'élection en 2016 de Donald Trump sera en partie la conséquence. A Janesville, un deuil se met en place. De « mise en veille », l'usine GM de Janesville devient « fermée définitivement ». Toute une époque se trouve balayée et Janesville, malgré sa résistance collective, devient comme les autres gagnée par le doute et la rancoeur. La petite ville prospère et dynamique se soumet elle aussi aux lois du marché et voit sa classe moyenne disparaître, comme dans le reste du pays. La crise est passée par là, séparant la population en deux parties qui ne se comprennent plus vraiment : les riches et les pauvres.
La quatrième de couverture précise que ce fut le livre préféré du président Obama en 2018, il fera également partie des miens pour 2019 ! Merci encore à Babelio et Masse Critique pour le choix de ce récit.
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Rares sont les livres que vous avez de retrouver à tout instant de la journée, et Janesville en fut un ! Suivre sur plusieurs années cette ville et quelques uns de ses habitants a été passionnant de bout en bout. Une véritable enquête d'investigation par une excellente journaliste du Washington Post et des hommes et femmes prêts à tout pour reprendre en main leur destin. L'émotion est au rendez-vous et on prend conscience de la fragilité du système économique français. Une lecture passionnante.
Lien : http://www.lanuitjemens.com/..
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