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Critique de Dossier-de-l-Art


La traduction en français de la biographie de Warburg par Ernst Gombrich est un véritable événement. Non seulement parce qu'elle met pour la première fois à la disposition du public un livre édité en anglais il y a quarante-cinq ans, mais surtout parce qu'il s'agit d'un ouvrage essentiel, qui expose à travers les péripéties d'une vie le développement d'une discipline en pleine effervescence au tournant de 1900 : l'histoire de l'art. Les circonstances de son écriture sont singulières. le livre fut commandé à Gombrich en 1936 et devait initialement être une publication des écrits inédits de l'historien de l'art Aby Warburg (1866-1929) dont l'immense bibliothèque, devenue depuis le Warburg Institute, venait d'être transférée de Hambourg à Londres. Mais l'ampleur de la tâche rendit impossible ce projet, d'autant plus que la guerre éclata peu après. Fixé définitivement en Angleterre où il avait dû fuir en 1938, Gombrich conçut le livre entre 1946 et 1947, mais ne l'acheva qu'en 1970 sous une autre forme : celle d'une biographie intellectuelle. Qui était Warburg selon Gombrich ? le premier qui, de manière très originale, refusa d'expliquer les bouleversements de la forme par la notion de « style » ; le premier qui fit appel à des éléments sociaux et culturels pour décrypter les choix de l'artiste : son « milieu » social, la personnalité de ses commanditaires, mais encore l'influence psychologique de références mentales presque inconscientes, comme les mythes, les rituels et les croyances religieuses par exemple. C'est ainsi que Warburg fut amené à s'intéresser à l'astrologie pour saisir le sens des fresques du palais Schifanoia de Ferrare ou les danses de cour pour éclairer les peintures de Botticelli et sa singularité dans la Renaissance florentine. Sa méthode, que l'on nomme aujourd'hui « iconologie », fut reprise après sa mort de façon très diverse ; elle est à l'origine de nombreuses orientations de l'histoire de l'art actuelle. L'histoire du marché de l'art n'aurait ainsi peut-être pas vu le jour sans les échappées de Warburg dans des domaines très différents des sciences humaines. L'étude de la perception et de la réception de l'oeuvre d'art, qui est aidée aujourd'hui par la neurobiologie, est aussi en un sens un prolongement de ses recherches. Or le tour de force de l'auteur est de faire comprendre le rôle central joué par Warburg à l'aube du XXe siècle sans que le lecteur y prenne vraiment garde. Les qualités didactiques de Gombrich, consacrées par le succès mondial de son bestseller intitulé Histoire de l'art, font merveille. On comprend aisément les concepts les plus difficiles ; on chemine même avec Warburg en ayant l'illusion de résoudre avec lui les questions qu'il se posait sur les tableaux. La lecture est du reste facilitée par les reproductions : toutes les oeuvres citées dans le livre sont illustrées ; elles voisinent avec des photographies de Warburg, qui l'incarnent et le rendent plus familier. La traduction limpide de Lucien d'Azay doit aussi être mentionnée : elle ne sera pas pour rien dans la renaissance de ce livre indispensable.

Par Christine Gouzi, critique parue dans L'Objet d'Art 516, octobre 2015
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