- L'effroi habite les forêts, disait Pierre. Que peut-il y avoir d'effrayant dans la steppe? Là, on est seul avec la terre et le ciel.
En somme, en Russie, la propagande révolutionnaire est la seule chose dont les hommes qui ne sont bons à rien peuvent s'occuper.
- Le soldat et le moine sont les premiers serviteurs du peuple. Voilà!
- Le père Théodore me recommande de lire. Je lis, mais pour moi le livre est comme une forêt lointaine qui fait un bruit confus. [La Bible] ne répond plus à notre temps. Maintenant, les gens ont des idées qu'on ne peut pas recouvrir avec un livre. Il y a des sectes partout. Les gens raisonnent comme s'ils racontaient leurs rêves, ou comme s'ils avaient bu. Ce Mourzine, par exemple...
Le moine prit du porto, mâchonna du pain, fit une boulette avec la mie, et tout en la roulant sur la table, continua :
- Le père Théodore prétend que tout le mal vient de l'intelligence. Le diable en a fait un chien méchant, il l'excite et le chien about contre tout. C'est peut-être vrai mais il est vexant d'en convenir. Il y a ici un médecin, un homme simple et gai qui pense autrement. L'intelligence, dit-il, est une enfant, pour elle tout est jouet, tout l'amuse, elle veut savoir comment les choses sont faites et ce qu'il y a à l'intérieur. Alors, naturellement, elle démolit...
- [...] Sans intérêt, personne ne travaillera. On dit toujours : «Où est mon intérêt?» Tout tourne sur ce fuseau. Regarde combien il y a de dictons sur ce sujet : «Le compère aurait été un vrai saint, si l'âme ne réclamait de profit.» Ou bien : «Même un saint prie pour le profit.» Ou encore : «Même la machine qui n'a pas d'âme demande à être graissée.»
- [...] Que veux-tu? Le souffle du monde nous empoisonne. Les moines sont aussi des hommes.
C'est la campagne qui se venge !
Pendant quelque temps, Jacques se dit qu'en somme tout allait bien. La guerre avait maté les gens, ils étaient devenus plus réfléchis, moins agités. Mais, habitué aux ennuis, il pressentait qu'il n'en avait pas fini avec eux, et en attendait vaguement de nouveaux.
On se bat, comme toujours, pour détourner les regards de notre propre bêtise, que nous sommes incapables, que nous n'avons pas l'énergie de combattre.
Il est difficile de vaincre ce qui est dispersé, tandis que ce qui est uni, on peut le trancher d'un seul coup avec le glaive de la justice...