Comme l’analyse l’écologiste Jean Zin, la norme du suffisant doit être appréhendée dans toute sa radicalité. Elle n’a rien d’une politique des « petits pas » ou d’un discours moralisateur qui viserait à responsabiliser le consommateur sans lui donner les moyens de se penser autrement que comme tel. Elle est bien au contraire un arrachement à la logique marchande.
En tant que science, l’écologie fait apparaître la civilisation dans son interaction avec l’écosystème terrestre, c’est-à-dire avec ce qui constitue la base naturelle, le contexte non (re)productible de l’activité humaine. À la différence des systèmes industriels, l’écosystème naturel possède une capacité autogénératrice et autoréorganisatrice qui, due à son extrême diversité et complexité, lui permet de s’autoreguler et d'évoluer dans le sens de complexité et de la diversité croissante. Cette capacité d’autorégénérations et d’autoréorganisation est endommagée par des techniques qui tendent à rationaliser et à dominer la nature, à la rendre prévisible et calculable. (Page 22)
Plus une société devient complexe, moins son fonctionnement est intuitivement intelligible.
Le philosophe de l’environnement Dominique Bourg attire notre attention sur le fait que les bouleversements environnementaux contemporains sont largement imperceptibles par nos sens. Le réchauffement climatique ou l’érosion de la biodiversité par exemple, n’appartiennent tout simplement pas à notre « monde vécu ». Ce sont des phénomènes qui se manifestent à une échelle spatio-temporelle bien plus vaste que celle dans laquelle se déploie notre quotidien. Leur appréhension politique ne peut alors se faire que grâce au travail d’experts dont le rejet, « eu égard au fonctionnement actuel de la société, reviendrait tout bonnement à ôter sa canne à un aveugle.
l’activité économique n’a de sens qu’au service d’autre chose qu’elle-même.
…. on peut tout à fait concevoir que les contraintes écologiques soient partiellement intégrées par le système productiviste au travers du déploiement de mesures techniques, gestionnaires ou autoritaires. L’écologie serait alors au service du renforcement de la rationalité économique et du pouvoir des experts, dépossédant, plus encore, l’individu de sa propre existence.
…plus une société devient complexe, moins son fonctionnement est intuitivement intelligible. La masse des savoirs mise en œuvre dans la production, l’administration, les échanges, le droit dépasse de loin les capacités d’un individu ou d’un groupe. Chacun de ceux-ci ne détient qu’un savoir partiel, spécialisé, que des procédures organisationnelles préétablies, des appareils vont coordonner et organiser en vue d’un résultat qui dépasse ce que les individus sont capables de vouloir. La société complexe ressemble ainsi à une grande machinerie ; elle est, en tant que tout social, un système dont le fonctionnement exige des individus fonctionnellement spécialisés à la manière des organes d’un corps ou d’une machine. Les savoirs spécialisés en fonction de l’exigence systémique du tout social ne contiennent plus, si complexes et savants qu’ils soient, de ressources culturelles suffisantes pour permettre aux individus de s’orienter dans le monde, de donner sens à ce qu’ils font ou de comprendre le sens de ce à quoi ils concourent. Le système envahit et marginalise le monde vécu, c’est-à-dire le monde accessible à la compréhension intuitive et à la saisie pratico-sensorielle. Il enlève aux individus la possibilité d’avoir un monde et de l’avoir en commun. C’est contre les différentes formes de cette expropriation qu’une résistance s’est progressivement organisée.
Cette domination de la rationalité économique sur toutes les autres formes de rationalité est l'essence du capitalisme. Laissé à lui-même, il aboutirait à l'extinction de la vie et donc de lui-même. S'il doit avoir un sens, ce ne peut être que de créer les conditions de sa propre suppression. Et par suppression du capitalisme il ne faut pas entendre la suppression de Ia gestion des entreprises de façon économiquement rationnelle c'est-à-dire en recherchant le rendement maximum par unité de capital fixe et circulant -, mais la relativisation, jusque dans la gestion et la création d'entreprises,
du critère de rendement maximal à la lumière de critères d'un autre ordre. Quand ces critères l'emportent dans les décisions publiques et les
conduites individuelles et assignent à la rationalité économique une place subalterne au service de fins non économiques, la société sera sortie du capitalisme et aura fondé une civilisation différente.