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Critique de Eric75


Initialement prévu pour sortir en 1977, avec un rythme de parution annuel, cet album ne sortira que deux années plus tard, en raison du décès de René Goscinny survenu en novembre 1977. Il restait alors à Uderzo 8 pages à terminer dont la réalisation avait été bloquée par Goscinny en raison d'un différend avec Dargaud. Après la mort de Goscinny, Dargaud contraint Uderzo par voie de justice à lui remettre les planches manquantes, sous peine de dix millions de francs de dommages et intérêts (source : Wikipédia). Uderzo achève donc l'album seul, celui-ci ne sortira qu'en 1979 après une prépublication dans le journal le Monde.

Une excursion des irréductibles Gaulois chez les Belges, voilà bien dites voir la pièce manquante du puzzle pour nos deux champions de la bande dessinée franco-belge ! Cet album, on l'attendait tous, avec ses emprunts au patrimoine belge et ses références plus belges les unes que les autres : la chanteuse Annie Cordy, la bataille de Waterloo, les moules-frites, les choux de Bruxelles, le Manneken-Pis, Eddy Merckx, Hergé, Jacques Brel, et j'en passe, on peut trouver avec au moins nonante clins d'oeil et citations de la sorte, sais-tu, et ce ne sont pas là des carabistouilles !

Le scénario emprunte un chemin classique : Abraracourcix est vexé par les Romains qui considèrent que les camps retranchés entourant le petit village gaulois constituent désormais pour les légionnaires des endroits de tout repos, comparés à la campagne actuelle que mène Jules César contre les Belges. Abraracourcix décide pour en avoir le coeur net de se rendre sur place ; il est accompagné par Astérix et Obélix. Très rapidement, le trio rencontre des Belges et se mesure à eux, pour savoir quel peuple sera le plus « brave ».

Tout part d'une appréciation historique consignée par César dans son Commentaires sur la Guerre des Gaules : « de tous les peuples de la Gaule, ce sont les Belges les plus braves », rapportée par le légionnaire ressemblant à Pierre Tchernia à Astérix (page 8).

D'autres caricatures, plus ou moins officielles, vont suivre. Dans cet album, Goscinny et Uderzo renouent avec les fondamentaux (caricatures, citations, nombreux clins d'oeil…), peut-être avec excès, mais on ne peut qu'apprécier le contraste produit avec le précédent album (Obélix et Compagnie) qui était de ce point de vue un peu austère. Citons donc les personnages qui apparaissent comme autant de « guest stars » : Pierre Tchernia (pages 7 et 8) ; Annie Cordy dans le rôle de Nicotine (page 21 et suivantes) ; les Dupond et Dupont annonçant l'arrivée de Jules César (page 31) ; le Manneken-Pis, perpétuelle victime d'une envie urgente (pages 33 et 34) ; Eddy Merckx en messager pulvérisant les records de vitesse (page 39) ; Harry James, trompettiste de jazz américain interprète de la chanson St. Louis Blues, qui selon moi donne ses traits au légionnaire Saintlouisblus (pages 24 et 25) et dont la réplique « ça chauffe ! » pourrait évoquer sa spécialité le « jazz hot », variété de jazz laissant beaucoup de place à l'improvisation. Saintlouisblus fait bouillir de l'huile et lance la première étape d'une longue réflexion conduisant à la recette des moules-frites imaginée par Gueuselambix dans l'album.

Plusieurs acteurs, en effet, vont contribuer sur une vingtaine de pages à faire émerger l'idée de cet incontournable trésor national belge. Seul Goscinny, scénariste génial, pouvait imaginer et insérer mine de rien dans le récit principal une histoire parallèle sur plus de vingt pages. Saintlouisblus fait chauffer son huile bouillante et tombe dans les pommes, Gueuselambix retient l'idée des pommes frites dans l'huile (page 25). Barbe-rouge le pirate échoue sur une plage avec un vestige de son bateau coulé : un ensemble de planches où sont restées accrochées des moules (page 26). Gueuselambix parle de son idée de pommes frites à sa femme Nicotine (page 28). Barbe-rouge veut faire valoir sa neutralité et réclame le remboursement de son bateau coulé auprès d'un centurion romain (page 27) puis de Jules César (page 38), en exhibant les planches garnies de moules. On retrouve les pirates et leurs planches sur le champ de bataille de Waterloo (page 44), qu'ils abandonnent sur le terrain en raison des bombardements nourris. On apprend plus loin qu'Obélix a récupéré les planches et leurs moules comme un souvenir de la bataille (page 46). Il les montre à Gueuselambix qui a alors l'idée d'associer les moules aux pommes frites !

Le lecteur appréciera également l'adaptation de deux célèbres tableaux : « Campagne de France, 1814 » d'Ernest Meissonier (à ne surtout pas manquer lors de votre prochaine visite au Musée d'Orsay) et « La Noce Paysanne » de Pieter Bruegel (l'original est visible au Musée d'Histoire de l'art de Vienne).

Le premier tableau a visiblement inspiré la vignette montrant l'armée de César se dirigeant vers la plaine de Waterloo, Jules César prenant ici la place de Napoléon 1er (page 39). le cheval blanc de « l'imperator » avançant en tête de cortège, la jambe avant gauche levée, la couleur orangée de la couverture servant de selle, l'alignement des chevaux des généraux qui escortent leur empereur, le ciel gris, les fantassins en arrière-plan, tout y est…

Le second tableau est représenté sous forme parodique sur une pleine page (page 47). Il met en scène les principaux protagonistes de l'album, dans la position des personnages de Bruegel : Obélix qui se lèche les babines et se frotte les mains devant tant de nourriture, Astérix qui se sert dans un plat de volailles, Abraracourcix qui discute avec Gueuselambix, une corne de cervoise à la main, Vanendfaillevesix prêt à avaler un poulet, Idéfix qui lape une écuelle… Malheureusement, selon une tradition bien connue et toujours regrettable dans les albums d'Astérix, aucune femme ne participe à cette « petite fête » (contrairement au tableau d'origine), et on ne verra donc pas Nicotine, elle qui pourtant aime tant servir de la nourriture à ses hôtes !

L'album se termine en beauté, avec une évocation de la bataille de Waterloo (qui comme chacun sait se situe en Belgique et n'a été remportée ni par Jules César, ni par Napoléon d'ailleurs). La voix off déclame, en les parodiant, les vers de Victor Hugo retraçant la déchéance de Napoléon dans le recueil Les Châtiments. On y va franco-belge dès le départ : « « Waterzooie, waterzooie, waterzooie ! morne plat ! » (page 39, l'un des jeux de mots les plus magnifiques de la série selon moi) ; on continue avec : « D'un côté c'est Rome... et de l'autre l'exubérance. Choc sanglant ! Des héros Toutatis trompait l'espérance » (page 40) ; « le soir tombait ; la lutte était ardente et noire
César avait l'offensive et presque la victoire ; Il tenait les Belges acculés sur un bois » (page 43) ; « Soudain joyeux, il dit... – Volfgangamadéus ! C'était Astérix » (page 43) et ainsi de suite, cela continue jusqu'à la page 45, dans cette magistrale adaptation, on notera que Rome remplace l'Europe, l'exubérance remplace la France, Toutatis remplace Dieu, Volfgangamadéus remplace Grouchy et Astérix remplace Blücher… Tout est donc bien à sa place, et Victor Hugo est remercié comme il se doit pour sa collaboration dans la préface de l'album.

Notons encore quelques désopilants clins d'oeil : « La garde meurt et ne se rend pas » (allusion à Cambronne, page 45) ; « Un cheval pour César » (allusion au Richard III de William Shakespeare, où le roi perd son cheval sur le champ de bataille et en demande un autre, page 45) ; « Dans ce plat pays qui est le mien, nous n'avons que des oppidums pour unique montagnes » (allusion au plat pays de Jacques Brel, page 20) ; « nous devons nous pencher sur Pisae… » (on fait rapidement le tour de Pise et on se penche sur ses problèmes chez les sénateurs, page 29).

Sur la dernière vignette, apparaît un petit lapin blanc qui s'éloigne tristement (page 48). On voit également un hibou jeter un oeil par le trou de l'arbre où se trouve ligoté Assurancetourix.

J'avais annoncé lors d'une précédente chronique que je reviendrais sur la symbolique de ces petits personnages récurrents. Les petits animaux de la dernière page, lapins et hiboux, s'étaient regroupés pour se moquer de la pancarte électorale xénophobe dans le Cadeau de César (1974). le lapin blanc qui apparaît ici symbolise René Goscinny, qui quitte pour toujours la série. Son épouse le surnommait couramment « mon lapin ». le premier animal qui apparaît dans la série en train d'observer le banquet est un lapin curieux, dans Astérix chez les Bretons (sorti en 1966).

Le hibou symbolise par ailleurs Uderzo. On constate qu'un premier hibou a élu domicile dans l'arbre du banquet dans La Grande traversée (1975). Il réapparaît à nouveau dans le Grand Fossé (1980). On reverra une famille de hiboux quitter la forêt et revenir habiter dans l'arbre creux dans l'Odyssée d'Astérix (1981), en grimpant à la queue leu-leu sur Assurancetourix. le hibou s'étonnera de l'absence d'Assurancetourix, remplacé par Cétautomatix dans Astérix chez Rahàzade (1987). Il réapparaît pour les dernières fois sous la plume d'Uderzo dans Astérix et Latraviata (2001) et dans le Ciel lui tombe sur la tête (2005). Enfin, on le verra quitter définitivement son arbre, baluchon à l'épaule comme il était venu, alors que non loin de là Idéfix hurle à la mort, dans Astérix et le Griffon (2021), dessiné sous la plume de Didier Conrad qui rend ainsi un hommage symbolique à Albert Uderzo, comme ce dernier avait pu le faire pour René Goscinny.

J'achève ici une étape de mon challenge personnel qui est de publier sur Babelio les 40 critiques des 40 albums parus. Les 24 critiques concernant les albums d'Astérix scénarisés par Goscinny (hors compilations des fonds de tiroir qui viendront plus tard) sont maintenant bouclées, et il me reste encore 6 critiques à produire sur les 16 albums suivants. Avancement : 34/40.

En conclusion, sais-tu, cet album est dans la série un incontournable une fois (j'imite l'accent belge avec plus ou moins de bonheur), de par sa richesse et parce qu'il occupe une place très particulière en tant que dernier Astérix réalisé par les deux créateurs. Uderzo, en plein désarroi, s'interroge pour décider s'il doit ou non poursuivre la série.

A lire ou à relire sans modération, en ayant bien en tête le contexte particulier de l'époque et en prenant soin de réviser ses classiques.
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