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Critique de Eric75


Eric75
28 septembre 2014
Un jour, une collègue au boulot me parle de coccinelles, de bédés, et de toutes ces sortes de choses, dont la teneur a aujourd'hui totalement déserté ma mémoire, mais qui m'amenèrent à lui demander à brûle-pourpoint : « Et Gotlib, tu connais ? ». Et là, à ma grande surprise, non seulement le pourpoint ne brûla point, mais Gotlib, non, elle ne connaissait pas. J'en déduisis immédiatement que la « jeune génération » ne connaissait, au mieux, que Titeuf et Walking dead. Cette anecdote montre que la parution d'une superbe rétrospective sur une partie de l'oeuvre de Marcel Gotlib (les années Fluide Glacial 1975-1995), amoureusement conçue et dirigée par Gérard Viry-Babel, rédacteur chez Fluide, arrive non seulement à point nommé (on fête actuellement les 80 ans de Marcel Gotlib), mais est aussi salutaire, un peu à la manière d'un acte militant.

A la lecture de cet album-hommage, on réalise que l'humour de Gotlib reste et restera éternellement « gotlibien ». le fait de devoir inventer un néologisme pour la cause montre à quel point l'humour de Marcel Gotlib revêt un caractère à la fois unique et à tout jamais irremplaçable, pour au moins deux raisons. La première : Gotlib symbolise une époque particulière de l'histoire de la bande dessinée. La seconde : on reconnait dès le premier coup d'oeil une planche de Gotlib, par son trait précis réalisé à la plume et au pinceau*, au service d'un humour que d'aucuns qualifieront de glacé et sophistiqué**, mis en scène dans des décors insolites et grandioses***.

Gotlib symbolise presque à lui tout seul une époque, celle de la libération des moeurs, du dessin et de la parole, après des décennies de pudibonderie et de censure pratiquée avec zèle et insistance sur la bande dessinée (qui était bien sûr initialement destinée à la jeunesse). Mais les petits lecteurs d'autrefois sont à un moment donné devenus grands, et les auteurs de bédé d'après mai 68 souhaitaient s'émanciper et avaient compris que leur public avait évolué. La libération eut lieu avec la création de L'Écho des savanes en 1972, puis de Fluide glacial en 1975, premiers magazines « pour adultes » rêvés et réalisés par les dessinateurs transfuges du journal Pilote. Il reste de tout ceci, avec le recul, un côté enfantin, jubilatoire et transgressif dans les dessins « osés » de l'époque.

Gotlib, en tant que bon manager, n'hésite pas à donner la parole à ses compagnons de route et à s'impliquer dans leurs travaux. Assez cabotin et un poil narcissique, il se met en scène régulièrement dans son journal : dans ses planches dessinées, dans ses romans-photos et dans ses éditoriaux. Aucune importance, il faisait déjà cela dans Les Dingodossiers et dans La Rubrique-à-brac, le lecteur fidèle y est habitué et ne demande que cela. Dans cette rétrospective, organisée non pas chronologiquement mais par thèmes, le lecteur peut à nouveau savourer le travail du Maître collaborant avec l'un ou l'autre de ses élèves. Et ils sont nombreux : Léandri, Alexis, Mandryka, Bretécher, Franquin, Binet, Bilal, Mézières, F'murr, Solé, Cabu, Druillet… j'en oublie sûrement.

Le lecteur appréciera à travers les extraits proposés les nombreux hommages, références et allusions, au cinéma, à la littérature, à la musique, à la radio ou à la télévision… sources d'inspiration toujours omniprésentes dans l'oeuvre de Gotlib.

Pour finir et pour illustrer ma chronique, je ne citerai que deux exemples (choisis parmi un demi-million d'autres exemples possibles figurant dans ces 152 pages). le premier m'a fait rire aux larmes, le second m'a profondément touché. Premier exemple : Marcel Gotlib et Philippe Druillet nous livrent 4 pages d'énergie pure, réalisées à 4 mains. C'est indescriptible ici, je vous laisse découvrir tout ça dans l'album. Deuxième exemple : Gai-Luron et Belle-Lurette s'en vont au loin, petites silhouettes fragiles main dans la main, on voit au premier plan Gotlib de dos qui les regarde partir. C'est la dernière image de "La bataille navale ou Gai-Luron en slip" (1986), la dernière vignette du dernier album de Gai-Luron qui est aussi le dernier album de son auteur. Depuis, Gotlib a posé sa plume et son pinceau, et vit tranquillement une retraite paisible et banlieusarde, à l'abri des regards et de la médiatisation. Bon anniversaire, Monsieur Gotlib.


* Gotlib dessine avec un crayon Staedtler 4H, une plume J.B. Mallet (réf. 132), de l'encre de chine Pelikan noire (Black-Schwartz) et un pinceau Isabey-Spécial n°2 en poil de martre… Vous l'aviez déjà oublié ? Pourtant, ce n'est pas faute de vous l'avoir répété. Ce type d'info est assez récurrent dans son oeuvre.
** Par ces deux termes, Gotlib qualifie dès les premières pages de la Rubrique-à-brac, son propre humour, à la fois subtil, décalé et pince-sans-rire.
*** Les mots « décors insolites et grandioses » apparaissent pour la première fois dans la RAB sur des petits panneaux désignant des paysages et des monuments extraterrestres pratiquement inexistants à l'image. le dessin statique des décors n'est pas le point fort de Gotlib (contrairement à Mézières, Druillet…) qui préfère dessiner des personnages extrêmement expressifs et souvent mis en mouvement par des effets de caméra (zoom, travelling, gros plan, contre-plongée, etc).
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