Catherine vivait chaque jour dans l’angoisse d’apprendre sa mort, fusillé avec un bataillon de rebelles. Elle faisait de son mieux pour le cacher aux enfants, autant pour ne pas les inquiéter que pour éviter qu’ils ne parlent… mais leur père n’était ni mort ni prisonnier. Alors comment justifier son absence ? Que l’institutrice s’en mêle était inquiétant.
Elle essayait tant bien que mal de cultiver des légumes, mais la terre était pleine de graviers et de toute façon, on lui avait volé même ses navets. Il poussait par contre des orties, des pissenlits et du plantain dont elle se faisait des soupes et salades amères, mais ce n’était guère nourrissant. Il faudrait à Bérénice du pain et des protéines ; heureusement, la mer n’était pas loin ; en s’adressant poliment aux soldats qui surveillaient la côte, il était possible de ramasser des coquillages et des algues à marée basse. Quand on a faim, difficile de faire la fine bouche !
Il avait rêvé d’elle la nuit précédente et failli tacher ses draps comme un adolescent. Lorsqu’il avait posé les yeux sur elle, ce jour-là, pénétrant à l’aube dans son appartement, il avait failli perdre ses moyens. Délicate dans sa chemise de nuit, délicieusement décoiffée, la lèvre tremblante, les pupilles dilatées, jamais femme ne lui avait paru plus désirable.
Elle n’était pas la vaillante résistante pleine de convictions et d’audace qu’il s’imaginait. Elle subissait cette situation plus qu’autre chose, et surtout, elle était morte de peur.
Peu importait le sourire de l’hauptmachin Loiseul : il était de l’autre camp, et il connaissait son secret. Elle devait rester vigilante. Quant au reste du petit groupe, tant mieux s’ils l’avaient prise pour une ravissante idiote : sa couverture n’en serait que meilleure.
Elle devait simplement faire attention de ne pas se prendre à son propre jeu.Garder la tête froide.Et protéger Bérénice.
.
Elle réalisait aujourd’hui que pouvoir se permettre de rester passive était un privilège. Bérénice aurait certainement apprécié une promenade, elle aussi. Mais elle était recluse à la maison. Elle n’avait pas le choix, pas la liberté de faire autrement. Elle était métissée, « métèque » selon les classements ethniques de l’État, et risquait donc sa vie alors qu’elle n’avait que huit ans et n’aspirait qu’à l’insouciance.
Il devait à son métissage à la fois la finesse de ses traits et le mépris de l’occupant, qui multipliait les lois discriminatoires envers ceux qu’ils appelaient les « métèques ». En référer aux autorités, c’était devoir justifier à un fonctionnaire des forces d’Occupation sa présence dans cet appartement.
Quelle époque… Cacher des enfants dans des placards… Quel genre de monstres traquaient des enfants ! Irène en avait la gorge nouée.