Nous ne possédons le monde que dans la mesure
où nous savons en reconnaître les plaies,
en sonder les reins déchirés,
et y porter l'onguent et le remède.
p 65
il faut bien que se créent les abîmes pour que s'y engouffrent les forces de vérité,
l'eau coule où se lézarde la terre.
p 13
Je voudrais, face à la vie, vous savoir sans crainte et sans tremblement. Si Dieu vous l'a donnée cette vie, c'est quelle est bonne et féconde. L'athéisme est un recroquevillement, une barque immobile. La foi est porte ouverte, seuil franchi, affranchissement, bruit des pas sur la route, bonne brise, voilier filant aux îles. Mes Divines, la foi est aventure, vent claquant, souffle, envolée de colombes, voile gonflée. Partez, partez au nom de Dieu.
Je me dirige vers le porche et tente d’ouvrir la porte. Elle est fermée à clef. On a fermé la porte de la Maison-Dieu. Je ne comprends pas. On ne devrait jamais fermer la porte d’une église. Et même si les hommes légers n’y viennent jamais, encore faudrait-il la laisser ouverte afin qu’y rentrent le soleil, l’oiseau blessé, le chien perdu, le fugitif et l’âme errante…
J’ai tout aimé de ce qu’il est possible d’aimer. Et si de secrètes larmes ont buriné mes joues, je les bénis tout de même puisqu’il est dit que ceux-là qui ont pleuré recevront la grâce de la consolation.
- Jean, nous nous dissoudrons dans l’amour et à la fin des temps, nous ressusciterons avec notre corps de jeunesse. Etrange sensualité du christianisme : ces noces éternelles, cette éternité de mai.
Sur ces dalles, vous mettrez vos pas dans les miens et vous verrez comme il est doux d’y murmurer quelques paroles de grâce quand souffle dehors le grand vent fou du Finistère.
Mais, mes filles, j’aimerais que dans nos cités, ces lieux de consolation et de joie que sont les églises chrétiennes, s’élèvent crânement, sans honte, et qu’elles soient belles à regarder et que leurs portes soient ouvertes au passant. Une église fermée, c’est une cœur qui se refuse.
Mes Divines, permettez-moi de vous parler des grands pardons de Bretagne. Nous allions régulièrement en pèlerinage au Folgoët et à Rumengol. C’était des ces grands temps obscurs où il n’y avait pas de prolétariat, mais seulement des pauvres. Comment, mes Divines, vous dire cela ? On marchait longtemps dans le Bretagne d’été. L’on partait tôt le matin. L’on croisait de ces hommes splendides, noir et blanc vêtus, et qui allaient vers les chapelles comme l’on va au paradis. […] Et tout cette nature, avec le bruit des arbres et la rumeur de la mer. Et les saints touchés par toutes ces paysannes mains, et les fontaines aux vertus magiques où avec plus de ferveur qu’à Lourdes venaient boire l’eau, des troupeaux de femme. Quelle allégresse ! Quelle confiance ! Ô Celtes, pour qui la croyance est aussi naturelle que le vent, et qui, sans façon, aviez tenté d’instaurer la démocratie dans une église trop romaine en élisant vous-même et vos pasteurs et vos saints. Ô Moyen-Âge heureux de mon pays ! Mais aujourd’hui les lampes dans les sanctuaires se sont éteintes et c’est tout juste si quelque vénérable chrétienne vient balayer les fientes des oiseaux sur le granit des autels. Ô trésor perdu ! Ô innocence perdue !
La liturgie est expression. Le rite vaut ce que vaut la foi. Il me semble que l’on a chassé des églises et le mystère et la poésie. Le clergé a voulu être moderne. Et compréhensible. A croire que naguère les temples ne furent fréquentés que par le gratin des sots et des imbéciles ! A présent, tout est clair. L’officiant s’offre en spectacle avec une impudeur dont il n’a même pas conscience.