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Critique de CeCedille


Lors d'un concert dans le Donbass, province orientale de l'Ukraine, un chef de fanfare en costume d'opérette décide de jouer l'hymne national ukrainien. Provocation, au moment où la province rêve de sécession ! Sous les horions de brutes avinées, il doit s'enfuir pour sauver sa peau.
Sa cavale le rapproche d'un ami d'enfance, depuis longtemps perdu de vue, apparatchik minier corrompu, qui doit, lui aussi, disparaître avant la découverte de ses multiples trafics. Leur amitié, arrosée dignement, est plus forte que leurs divergences politiques : l'un penche pour la révolution de Maidan, l'autre ne jure que par les Russes. Les voilà partis ensembles dans un road-trip (à traduire en russe, plus qu'en ukrainien) au volant d'une robuste Volga noire qui va résister aux vicissitudes de leur fuite éperdue. La recherche de leur dulcinées respectives n'est qu'un prétexte à parcourir cette improbable province dont le roman de Cédric Gras met en valeur la beauté industrielle déchue.

Trois mots pour éclairer le sujet :

* Irrédentisme: le mot, inventé par les Italiens, désigne le sentiment d'appartenir à un autre pays que le sien, par sa langue, sa culture et ses traditions. Lors de la révolution de Maidan, à Kiev, le Donbass, encore fier d'une ancienne tradition minière, avec son charbon d'excellence (l'anthracite aux reflets de diamants), regarde plutôt du côté de la Russie (version URSS) plutôt que du côté d'une Ukraine sensible aux sirènes de l'Europe. La guerre qui s'ensuit, d'avril 2014 à début 2015, fait plus de 5000 morts et de 12 000 blessés. Les accords de Minsk (12 février 2015) imposent un cessez-le-feu difficilement respecté. Entre temps la Crimée a été annexée par la Russie. La Transnitrie connait la même situation, sur l'autre flan de l'Ukraine. Comme des précipités d'URSS dissoute, renaissent ces entités innomées dans une curieuse chimie politique.

* Ostalgie : le mot désigne cette nostalgie du mode de vie soviétique des anciens pays de l'Est. C'est l'état d'esprit du Donbass. Point de salut du côté de l'Europe trop riche : les ukrainiens seront toujours les derniers, hormis leurs filles blondes aux yeux bleus qui rêvent de riches mariage à l'ouest.
Faute d'idéologie, le communisme est bien mort, même si les étoiles rouges accrochées aux monuments continuent à briller, les statues de Lénine a montrer du doigt un avenir radieux dont il ne subsiste que le souvenir enjolivé d'une frugalité paisible et fraternelle. En contraste, les ukrainiens sont diabolisés dans un étrange télescopage temporel qui les identifie aux envahisseurs hitlériens qu'il faut combattre avec les armes (et les idées) rouillées de la seconde guerre mondiale. le tout dans un halo de vapeurs d'alcools très fort...

* Réfugiés : Alors que les pays nantis discutent à l'infini de contenu de ce substantif (réfugiés politiques, réfugiés économiques), ce récit montre crûment que parmi les blessés et les cadavres, dans l'horreur d'une guerre aveugle qui ne distingue pas les civils des combattants, le salut est dans la fuite. Dans un pays en guerre la survie consiste à le quitter. Vérité élémentaire à rappeler en ces temps de migrations...

Il s'agit d'un récit plus que de roman. L'intrigue sentimentale n'est qu'un prétexte à cette odyssée dont les Pénélopes font plutôt de la figuration.
Le lecteur parcourt l'histoire comme la géographie de ces confins si peu familiers. Il et confronté aux horreurs de la guerre, les mêmes depuis Goya. Elles ont, certes, épargné l'Europe depuis 70 ans, mais la cernent désormais, affolant ses repères politiques dans l'exacerbation d'un complexe obsidional. Cédric Gras relate, en correspondant de guerre, ce périple où la géopolitique l'emporte sur la romance. Il connaît parfaitement son sujet pour y avoir dirigé l'Alliance française. Il révèle un vrai talent d'écrivain-voyageur, avec des traits de couleur qui évoquent Curzio Malaparte, Nicolas Bouvier, Sylvain Tesson, ou Jean Rolin.


Lien : https://diacritiques.blogspo..
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