Les jours sont sans saveur s'ils ne nourrissent des rêves.
J'ai proposé des échappées en diable à des camarades, devant des verres sans alcool. Je ne buvais pas une goutte de ces breuvages, ne consommait rien qui générât des rêves factices. Je voulais vaciller depuis d'autres hauteurs que celles des tabourets de bar. Je ne comprenais pas que l'on puisse avoir autre chose à faire que d'embarquer pour le bout du monde. Comme si les horizons pouvaient passer après je ne sais quelle obligation fallacieuse. Comme si on pouvait préférer regarder flotter des glaçons dans un whisky en causant d'art contemporain plutôt que les icebergs miroitants depuis le pont d'un cargo rouillé.
Mystérieuse complicité que celle provoquée par certaines œuvres. Ceux qui les ont lues se les remémorent ensemble comme une terre lointaine.
J'entends de nos jours des discours conceptuels qui appellent à « redécouvrir », « réinventer », « porter un autre regard »... Ils emploient le même vocabulaire que les artistes prétendant nous faire « voire le monde différemment » dans une panne d'inspiration générale. Celle qui nous ressert une soupe toujours un peu plus amère.
Il faut savoir rebrousser chemin lorsque l'on ne s'émerveille plus qu'à demi, qu'on est repu de l'ailleurs.
Le plus beau voyage s’avère le langage.
Il y a de l'initiation, du secret et de la révélation dans les conseils de lecture. Quand on troque des ouvrages, on s'échange des mondes et des effluves.
J'ai toujours des doutes au sujet de ceux qui ne lisent jamais.
Encore une histoire de virginité que cette affaire de voyage. Seul un régime néostalinien verrouillant les frontières pourrait reformer l'hymen des mondes interdits.
On nous pommade souvent que l'on n'a rien à prouver. Le courage n'est plus une exigence de nos sociétés. Mais, sans lui, la vie finit en un concert de remords. On ne rêve jamais impunément.